Contrairement à nos attentes, le petit Jock grandit en âge mais non en sagesse*. Bien que petit son museau plutôt court ainsi que sa couleur annonçassent le boxer, son
nez se mit à s’allonger et si son poil resta ras, rien d’autre en lui ne rappelait sa
mère. Il devint d’une taille, d’un poids et d’une musculature impressionnantes
au point qu’un ami quand nous le visitions s’empressait de mettre son chien, un
groenendhal de belle taille, à l’abri de peur qu’il n’en fasse qu’une bouchée. Alarme
vaine, car ce chien était un pacifique. Il ne manquait pas d’appétit et eût pu
sans problème entrer au Guiness Book, catégorie goinfre. Entre autres choses,
il était friand d’œufs comme nous le
constatâmes un jour qu’il en rapporta un dans sa gueule suite à une expédition
dans une ferme voisine avant de le déposer au sol, d’en percer la coquille d’un
coup de dent puis de s’en repaitre en le faisant rouler dans l’herbe à grands
coups de langue. Mais, en dehors des joies du sport, est-il indispensable de se
lancer dans de longues courses à travers champs quand on a un poulailler si près ?
Jock dut penser que non.
Milien constata que des coquilles d’œufs trainaient aux
alentours de son poulailler. Tout de suite il accusa de ces forfaits les
margottes, nom tourangeau de la pie. On le vit donc prendre son fusil et débarrasser
les alentours de ce corvidé voleur.
Un soir d’été que nous prenions le frais devant la maison,
nous fûmes intrigués de voir notre benêt de chien effectuer une curieuse et sautillante
danse dans les herbes hautes du champ d’en
face. Tels de bons parents se réjouissant
au spectacle de la vitalité de leur progéniture nous admirâmes d’abord son
entrain mais, la danse tendant à s’éterniser, nous finîmes par nous rapprocher,
intrigués de son manège. Nous comprîmes alors la raison de tant de cabrioles :
Jock s’était trouvé une camarade de jeux : une des poules de Milien, paralysée
de terreur et entourée des plumes qui manquaient cruellement à son dos se
trouvait au centre de l’aire d’herbe qu’avaient couchée les bonds et autres
approches rampantes du chien. A son grand regret, nous rentrâmes le chien
mettant ainsi fin au martyre de la poule. Mais ce n’était qu’un début…
Un matin, nous découvrîmes près de notre porte le cadavre d’une
amie de Jock que le jeu avait épuisé. Afin d’éviter de stériles conversations
avec ce vieux con de Milien, je pris la voiture et balançai le corps du délit
dans un fossé à quelque distance. Seulement, chaque fois qu’il parvenait à s’échapper
de son enclos, et à ce jeu il était très fort, le chien remettait ça…
Il n’échappa pas à Milien que son cheptel aviaire diminuait.
Il pensa d’abord à l’œuvre d’un renard. Son fils se mit avec chien et fusil à
traquer le roux animal mais n’en trouva point. C’est alors que dut lui venir l’idée que le coupable pouvait être un animal
de même couleur, mais plus massif, au poil moins touffu, un chien, par exemple…
MON chien peut-être… Là commença un festival d’hypocrisie : lui avançant
pas à pas, par allusions fines, moi me montrant d’une remarquable incapacité à
les comprendre tandis que ma femme, plus directe, ignorait superbement « ce
vieux con qui nous emmerdait avec ses saloperies de poules ».
Quand il retrouva une poule bien déplumée, il vint me montrer
son dos à vif. J’exprimai un étonnement poli et mes interrogations quand à l’origine
d’un tel phénomène, ajoutant qu’elle ne pouvait pas s’être fait ça toute seule.
Il suggérai alors que ça devait être du à « quéqu’béte » sans plus préciser.
Je me rangeais à son avis sans pour autant avancer une quelconque hypothèse sur
la nature de l’animal…
Un jour il vint vers moi avec une poule aussi mouillée que
morte. Il m’annonça qu’elle s’était
noyée dans la mare d’à côté, probablement après avoir été poursuivie par « quéqu’béte ».
J’abondai dans son sens tout en feignant une totale ignorance quant au genre de
bête qui aurait pu être à l’origine du drame…
Seulement, avec le temps, il ne resta plus beaucoup de
poules. Le vieux sentait une sainte colère monter en lui. Un matin, ouvrant la
porte, je trouvai sur le seuil un nouveau cadavre. Juste après j’entendis qu’on
frappait. J’ouvris à un Milien furieux
auprès duquel je m’enquis de la raison de sa visite. « Y’a que y’a votre
saloperie de chien qui m’a encore bouffé une poule ! V’là c’qu’y a ! »
Devant tant de sincérité, je ne me démontai pas et lui répondis « M. B.,
je veux bien que ce soit mon chien, mais pourquoi l’avez-vous déposée à ma
porte ? » Surpris, il regarda
à ses pieds et aperçut la volaille que j’avais jetée un peu de côté et que sa
colère lui avait fait ignorer. « Nom de Dieu ! Y m’en a bouffé deux ! »
s’exclama le bonhomme.
Le temps des explications était venu. Je lui proposai de l’indemniser
du nombre de poules qu’il m’indiquerait. C’est alors que, toujours irrité, il
me déclara que de telles poules, ça n’avait pas de prix. Contaminé par son
animosité, je lui répliquai que dans ce cas, je ne voyais pas
comment le payer, et lui souhaitai le bonjour avant de refermer ma porte.
Ce furent les dernières paroles échangées avant qu’un
déménagement nous entraînât vers un environnement urbain.
*Les multiples ennuis qu'il nous causa justifieraient à eux seuls une série de chroniques !