J’ai développé une haine certaine contre la tôle ondulée, ce
matériau qui présente les seuls avantages d’être d’un coût modique et d’une
mise en œuvre aisée. Pour ces raisons, les paysans du coin s’en servent pour construire nombre d’annexes qui ne
tardent pas à rouiller et ainsi défigurent le paysage. Certains en couvrent
même leur maison, donnant ainsi à des demeures en granite un petit plus qui
rappelle la favela.
J’ai donc, il y a peu remplacé la tôle de mon appentis par
du lambris d’extérieur, propre et net s’il n’est traditionnel. Seulement, je me
retrouvais avec un certain nombre de
plaques de tôle plus ou moins rouillées dont le transport à la déchetterie
risquait de prendre beaucoup de temps et d’énergie. C’est alors que j’eus l’idée
d’en faire don. Je n’étais pas certain que cela intéresserait quiconque mais on
pouvait essayer.
Il est à quelques pas de chez moi une ferme. Ses exploitants
sont rudes gens, lui bien avancé dans la soixantaine, elle le suivant à
semble-t-il quelque distance. L’homme est taciturne. La femme, je l’ai surnommée la Cow-girl. Car c’est elle qui, en
général, mène et ramène leurs vaches aux prés où à la ferme. Cela ne va pas
sans moult jurons et coups de bâtons. Le répertoire de la Cow-girl est imagé et
riche pour ce qui est des termes peu flatteurs dont elle gratifie ses bovidés. Pour
la conversation, c’est plus limité.
Or donc, profitant d’un passage sur la route de ce gentil
couple accompagné de leurs grands enfants, je m’adressai à la Cow-girl et lui
demandai si des tôles l’intéresseraient. Se tournant vers son digne époux elle
lui demanda « Ça t’intéresse-t’y
des tôles ? » La réaction fut
immédiate, positive, enthousiaste. Autant demander à un malade s’il voulait la
santé. Je lui proposai de voir lesdits
objets (comme s’il n’avait, ces dernières décennies, eu aucune occasion de les
admirer et, ces derniers jours, de voir qu’on les avait remplacées). Il m’accompagna donc après s’être assuré qu’il s’agissait d’un don
et non d’une vente. L’ayant rassuré je lui spécifiai qu’il fallait tout
prendre, le bon comme le mauvais. Pas de problème : il emporterait l’ensemble. Quand cela serait-il possible ? Mais
quand vous voulez. Maintenant ? Maintenant si vous voulez. Bon, j’vas
chercher l’tracteur ! Il semblait
habité de cette impatience qu’aurait tout brave homme à qui un canon viendrait
de proposer de ses faveurs (gratuitement, s’entend) : profitons-en avant
qu’on ne se ravise.
Quelques minutes plus tard, le tracteur franchissait mon
portail, je lui donnai un coup de main pour charger les plaques dans sa benne et
m’ayant remercié, il repartit.
J’avais fait un heureux en me dispensant d’une corvée. Oh,
bien sûr, j’aurais aimé qu’avant de partir il serrât ma main entres ses mains
calleuses, mît un genou à terre, l’arrosât de pleurs en m’appelant, d’une voix
brisée par les sanglots, « Mon bienfaiteur ! Mon bienfaiteur ! ». Mais ne rêvons
pas : le paysan Bas-Normand n’est pas expansif.