Après le devoir de mémoire, serait venu le temps de la
repentance.
Le devoir de mémoire est certes une bonne chose. Se souvenir
de son histoire est important pour un peuple. Ça participe à la définition de son identité. Ça
permet aussi, dans une certaine mesure, de voir ce qu’il serait bon de reproduire
et ce qu’il faudrait éviter. En étant bien conscient qu’analyser avec les
valeurs d’aujourd’hui le monde d’hier est souvent aussi stupide que malhonnête
et inapproprié. Comme le disait le bon Montaigne, « Le monde n'est qu'une
branloire pérenne : toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers
du Caucase, les pyramides d'Egypte : et du branle public, et du leur. La
constance même n'est autre chose qu'un branle plus languissant. » Comment juger
ce monde perpétuellement changeant à partir de critères qui, si on les croit
universels et intangibles, ne tirent pas moins leur apparente valeurs que d’une
mode fugace ? L’immuable n’est pas de ce monde. Pour qui ne croit pas en l’ « autre
monde », il est de nulle part.
Venons-en à la repentance. D’abord, notons que dans le Petit
Robert, mon vieux compagnon (édition de 2003), le terme est noté « vieilli
ou littéraire ». Preuve de plus que le vocabulaire comme toute chose est
soumis au « branle universel ». Il y a neuf ans, il était plus
moderne d’utiliser le mot repentir (« Vif regret d’une faute accompagné d’un
désir d’expiation, de réparation »).
En fait, ce renouveau de vigueur lexical le mot le doit à sa
contamination par son sosie intégral anglais lequel était dérivé de l’ancien
français… repentir ! Le serpent linguistique se mord parfois la queue !
Récemment, ce terme est passé du domaine religieux ou de la morale individuelle aux domaines du
droit public et des relations internationales. Les états pourraient ou mieux devraient
exprimer leur repentance vis-à-vis d’autres états ou de « communautés »
(plus ou moins clairement définies) sur des actions passées réputées mauvaises.
Il est évident que le jugement porté sur ces actions se fait en fonction des
valeurs morales et de l’interprétation de l’histoire que l’on a à une époque
donnée. Avec toutes les variations que
cela a impliqué, implique et impliquera.
En admettant qu’un état pense devoir exprimer son « vif
regret et son désir d’expiation » au sujet de telle ou telle « erreur »
commise dans un lointain passé cela reviendrait à reconnaître la transmission héréditaire
des culpabilités. Ce qui a connu des précédents regrettables comme dans le cas de l’antisémitisme
qui faisait des juifs les héritiers des déicides et justifiait aux yeux de
certains leur persécution. Et puis,
cette fameuse culpabilité, qui la porte ? L’état ou les citoyens ? L’état,
en tant que personne morale, doit-il endosser l’héritage des régimes qui l’ont
précédé et que le régime actuel a renié ?
Les citoyens peuvent-ils être considérés comme responsables héréditaires
de fautes auxquelles leurs ancêtres n’ont pas nécessairement participé et dont
ceux-ci n’ont pas obligatoirement bénéficié ? S’il y avait réparation à
opérer qui en faire bénéficier ? Dans
le cas de la traite négrière s’agirait-il des descendants des esclaves, des
citoyens des états qui se sont vus amputer d’une partie de leur richesse humaine ?
Des deux ? De
leurs états, même si ceux-ci n’existaient pas au moment des faits ou ont
collaboré à la traite ?
La repentance paraît une belle chose vue de loin. Elle semble
pourtant poser plus de problèmes qu’elle n’en résout. Dans le meilleur des cas,
elle constitue un « beau geste » aussi gratuit qu’inutile et formel ;
dans le pire elle relève d’une forme de masochisme offrant à ceux qui s’y
adonneraient le trouble plaisir de se
couvrir la tête de cendres et l’occasion d’une délectation morose pouvant à
terme les mener à l’auto-détestation. Je
n’en vois l’intérêt ni pour les descendants des « victimes » ni pour
ceux des « bourreaux ». A moins que l’on juge utile de revivifier de
vieux ressentiments afin de compliquer le bon voisinage des communautés ou des
nations ?
Le président Sarkozy avait déclaré au soir de son élection,
le 6 mai 2007 : « « Je veux en finir avec la repentance qui
est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la
haine des autres ». C’est ce que je
voulais exprimer de manière lapidaire par mon titre.