Hier soir, j’ai regardé La Môme. Que dire de ce film virevoltant ou les temps se mêlent au fil des émotions, semé de scènes poignantes, hallucinantes parfois ?
J’ai toujours aimé Piaf. La magie de sa voix. Chanteuse « réaliste », c’est daté. M. Romain Gary a écrit de belles choses là-dessus dans « L’Angoisse du roi Salomon ». Qu’importe ? Je me souviens l’avoir vue à la télé chez un voisin (nous ne l’avions pas encore en ce début des années soixante), à Cinq colonnes à la une, si je me souviens bien, entonner pour son retour à la scène « Non, je ne regrette rien » avec son intro lancinante. Je me souviens aussi de la déception de ce copain de mon frère qui se faisant une fête d’aller voir son idole sur scène ne vit qu’une loque s’écrouler au sol après quelques chansons. Quel spectacle !
Edith Piaf connut le succès mondial.
J’en veux pour preuve la surprise que j’eus à Spitalfieds. Ce charmant quartier de l’East End a toujours accueilli les immigrés depuis les Huguenots chassés par Louis XIV jusqu’aux Bangladais aujourd’hui en passant par les Juifs d’Europe de l’Est à la fin du dix-neuvième siècle. Quartier de misère qui vous rend Saint-Ouen pimpant par comparaison où fleurissent mosquées et barbus en tenues exotiques tandis que des clodos étiques se régalent de restes de fish and chips pêchés dans les poubelles de Whitechapel Road. C’est du moins le souvenir que je garde du lieu en ce début des années quatre-vingt-dix.
Je m’y rendais au marché de Brick Lane, le dimanche matin. C’était une sorte de marché aux puces et à tout. On pouvait y acheter, aux enchères, de la viande venue par camions entiers, des vêtements neufs ou de la fripe, des rognures de saumon fumé, des meubles bancals, des clous rouillés et tordus et bien d’autres merveilles. Non loin de là on trouve Petticoat Lane, sa version édulcorée, spéciale touriste. Sur Brick Lane et les rues adjacentes où s’étale le marché, pas de touristes. Des gens de toutes couleurs s’y bousculent devant des étals aussi variés que leur éventuelle clientèle. Au fond de terrains laissés vagues par des maisons ou ateliers depuis longtemps écroulés, des semi-clochards proposent à la concupiscence des badauds, étalées sur un bout de tissu sale, de telles saloperies qu’au cas improbable où ils vendraient tout ils ne toucheraient rien.
Voilà le décor. Et c’est là qu’un dimanche, au fond d’une cour sordide, d’un tourne-disque genre Teppaz local, s’éleva, incongru, un chant en français. De sa voix à vous nouer les tripes, Edith clamait qu’elle ne regrettait rien… Du coup, de ce rabicoin bizarroïde, c’est toute ma France qui revint. Moi non plus je ne regrettais rien !