Tel est le statut que j'écrivis sur
Facebook avant hier. On ne peut pas dire qu'il ait rencontré un
grand succès. L'idée m'en était venue alors que je débarrassais
les murs de ce qui sera mon bureau de leur vieux papier, activité
on ne peut plus propices aux méditations profondes. Il est vrai qu'à
bien des yeux, il pouvait paraître pour le moins énigmatique voire
sacrilège.Comment peut-on oser accoler ce terme outrancier au nom
d'un de nos plus grands poètes ? Je vais vous dire pourquoi.
En fait, ce qui provoque chez moi cette
réaction défavorable, c'est son fameux Albatros que je
connais encore par cœur, l'ayant spontanément appris durant ma
période « poète maudit ».
«Le Poète est semblable au prince
des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Cette métaphore m'agace en ce qu'elle
fait de l'esprit auto-proclamé supérieur de son auteur un être
inapte à la vie ordinaire. A mon sens, ce devrait être tout le
contraire. Comme dit le proverbe « Qui peut le plus peut le
moins ». Il est sûr que posséder des ailes de géant peut
constituer un handicap pour la marche mais n'oublions pas qu'il ne
s'agit là que d'une métaphore : ayant vu plusieurs
photographies de M. Baudelaire je peux vous affirmer avec une
tranquille assurance qu'il n'était pourvu d'aucune aile.
Le poète se veut inadapté par son
côté supérieur. En cela, il me rappelle un instituteur fou
rencontré à Rufisque (Sénégal) alors que j'étais conseiller
pédagogique pour une méthode de français. Ce brave garçon
conduisait ses leçons de manière pour le moins étrange et peu
conforme à la méthode. A la fin de notre visite, nous tentâmes,
avec mon collègue, de lui signaler avec le tact que semblait
requérir son état certains errements de sa manière d'enseigner. Sa
réponse fut sans appel : « Dieu ne m'a pas créé pour
remplir les fonctions pitoyables d'un instituteur. Dieu a de plus
grands projets pour moi. » Que répondre à cela ?
A sa manière, et peut-être sans le
savoir, cet enseignant était un albatros et partant l'émule du
malheureux Charles. J'avoue, adolescent, avoir été tenté de
partager cette illusion qu'à l'origine de mes déboires ou
frustrations se trouvait un trop vaste talent. Ça m'est vite passé.
J'ai croisé au cours de ma vie bien des personnages se jugeant
supérieurs à leur médiocre situation sans que personne n'ait songé
à réparer cette erreur de casting. Ce doit être difficile à vivre
mais, à mes yeux, ça relève d'une erreur d'appréciation de ses
mérites et d'un orgueil mal placé.
Plus que les jérémiades stériles
d'un Baudelaire ou d'un Richepin, je fais mienne la conclusion que
donne à La mort du loup Alfred de Vigny :
" Si tu peux, fais que ton âme
arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "
Mais ça ne m'empêche pas de bavarder
aimablement comme je le fais ici.