Quel malheur, les festivals d’été seraient compromis !
Personnellement, je m’en tape mais je conçois que les amateurs de spectacle
vivant, comme on dit maintenant (probablement par opposition au spectacle
mort), en soient tourneboulés. A une époque de ma vie j’ai eu ma dose de
spectacles. Musique, danse, chanson, théâtre, rien ne me fut épargné. Par
solidarité conjugale j’accompagnais mon épouse, journaliste dans la PQR avant d’être
embauchée par un bidule culturel, qui se voyait offrir des invitations à tout
ce qui se faisait de culturel en Eure-et-Loir. Dieu que j’ai souffert ! A de rares exceptions près, l’ennui s’emparait
de moi dès les premières minutes et ne me lâchait qu’à la fin laquelle ne
semblait venir qu’après une éternité. D’incessantes consultations de ma montre
me donnaient l’impression d’un temps quasi-figé. Pour me changer les idées, il
arrivait que je parcourusse des yeux le public à la recherche de gens
partageant mes affres. Curieusement, ils semblaient s’intéresser à ce qui se passait
sur scène. Et en plus, ils avaient payé pour ça ! Toutefois, j’eus la
satisfaction d’apercevoir, un jour qu’au théâtre de Chartres mon regard
balayait les loges avoisinantes afin de me distraire d’une pièce de Brecht
particulièrement passionnante, un compagnon de galère. Dans la loge d’à côté,
un homme, plutôt âgé, exprimait son profond intérêt par de copieux ronflements.
J’appris de ma compagne qu’il n’était autre que Georges Lemoine, député-maire
de la ville et plusieurs fois ministre. Bien qu’il fût socialiste j’éprouvai
pour lui une soudaine sympathie…
Mais trêve d’anecdotes personnelles, revenons à nos
intermittents moutons. Il me semble que s’engager dans une carrière artistique est,
comme bien des entreprises humaines, aléatoire. Quand on s’y engage, sauf à être totalement
abruti, on s’en doute un peu. Le commerce
et l’artisanat présentent aussi leurs risques : quand les clients se font
rares il arrive qu’on ne gagne rien, quand la concurrence vous amène à
travailler à perte, il est fréquent qu’on se retrouve en cessation de paiement.
Il n’arrive jamais qu’en période de faible activité un charcutier se voit
compenser son manque à gagner par une allocation quelconque. Vous me direz qu’entre
celui qui fait l’andouille dans son arrière-boutique et celui qui la fait sur
scène il y a une différence de niveau. Le premier nourrit les corps, le second
les âmes. Boustifaille et culture sont certes les deux mamelles de la France mais, cette dernière, on l’aide à survivre. D’ailleurs
les faits parlent d’eux-mêmes : entre 1984 et 2013, soit en moins de trente
ans, le nombre d’allocataires de leur régime spécial de chômage a été multiplié
par 11,7. Ainsi s’explique le spectaculaire bond en avant culturel qu’a connu
notre pays ces dernières décennies. Vu que les spectacles rapportent bien plus
qu’ils ne coûtent, la multiplication des effectifs n’est pas pour rien dans le
boom économique que nous avons connu durant cette même période.
A moins bien entendu que cette multiplication des
intermittents ne soit surtout due qu’à un système qui permet aux employeurs de
dégraisser leur effectifs en morte saison sans que ceux-ci n’en souffrent trop
et que ne leur vienne à l’idée de faire autre chose. Il se peut aussi qu’un
nombre croissant de gens se sentent attirés par une profession artistique ou
simplement par le côté vaguement bohême qu’il y a à graviter autour de ce
milieu en tant que technicien. Quoi qu’il en soit, le régime est largement
déficitaire et je ne vois pas au nom de quoi la communauté nationale devrait
soutenir à bout de bras des gens qu’un système moins généreux pousserait à
faire autre chose. La Culture, avec toutes les majuscules qu’elle mérite, a bon
dos. D’ailleurs, peut-on dire qu’il soit frappant que le niveau culturel du
pays se soit élevé depuis que l’état subventionne tout et n’importe quoi ? A
un moment où le débat sur l’acharnement thérapeutique fait rage, est-il
raisonnable de maintenir artificiellement en activité des professionnels à coup
de perfusions financières ? Je répondrais non à ces deux questions mais je
ne suis pas objectif : mon horreur de la foule me fait fuir les
rassemblements de toutes sortes et, de plus, ma propension à l’ennui m’éloigne
des spectacles si prétentieux et assommants soient ils….