Comment peut-on s’intéresser aux « affaires » ?
Comment frémir au nouveau record de
plongée de la cote de popularité du président ? Comment se passionner pour
l’Ukraine qui au fond ne fait que remplacer provisoirement la Centrafrique, le
Mali ou la Syrie et bien d’autres pays au hit-parade des soucis internationaux du citoyen du monde qui a sur
la question des idées aussi arrêtées que son ignorance est encyclopédique sur
la matière ?
Il serait temps de revenir aux véritables problèmes parmi
lesquels le plafond écaillé tient une place de choix. Car quel spectacle est de
nature à davantage désespérer une âme noble et exigeante que celui qu’offre un plafond de cuisine qui se délite ?
Au début, c’est presque rien. De minuscules cloques se développent
à la surface du plafond, seulement visibles
à l’œil de qui passerait son temps à le fixer. Mais à ce stade, rares sont ceux
qui les remarquent, occupés qu’ils sont à préparer les repas. Et puis les
cloques enflent, se rejoignent craquent et offrent au regard un spectacle d’apocalypse
volcanique. Ce n’est plus un plafond, mais une triste évocation de la surface
lunaire. Que faire ? Baisser les yeux ? Se résigner ? Ce serait
tentant si c’était possible. Mais irrésistiblement le plafond attire le regard
et sa vue ravive la douleur. Vous ne voyez que lui, vous ne pensez qu’à lui. La
terreur s’installe : et si un éclat, une plaque d’enduit peint venait à se
détacher et tomber dans le miroton qui doucement mijote ? Du coup votre cuisine, ancien lieu de félicité, devient paradis perdu, enfer dantesque (en
pire). Vous y pensez sans cesse. Elle
hante vos cauchemars. A quoi bon vivre si ce n’est que pour voir ce qu’on a de
plus sacré se corrompre ? Les idées noires se bousculent. On se prend à
envier ceux dont les plafonds sont exempts de craquelures. A presque souhaiter la désespérante cloque à
ceux qui vous blessèrent. On a beau lutter, l’obsession s’installe.
Il existe pourtant un moyen de mettre fin à telle géhenne :
la réfection. Seulement, n’est pas réfecteur de plafond qui veut. Tous en
rêvent, peu y parviennent. On ne le devient qu’après un long apprentissage semé
d’espoirs et de désillusions, on va d’échecs en demi-succès. Et puis un jour, miracle, on y parvient. J’ai parcouru ce
lent et difficultueux chemin initiatique. J’en suis sorti blessé, usé avant l’âge
mais j’ai survécu et triomphé : hier, j’ai réalisé le plafond parfait,
rêve du réfecteur.
La situation était grave : Nicole, ma compagne, n’en
pouvait plus. La douleur était telle qu’elle en vint à surmonter la perspective
des inévitables et immenses désagréments qu’entraîne inéluctablement telle
entreprise. Les matériaux étaient pourtant là, depuis longtemps acquis. Manquaient l’étincelle, la goutte d’eau, qui font qu’on
saute le pas, qu’à la longue hésitation succède, irrévocable, la décision. Elle
me la signifia. Reculer me fut impossible.
C’est soumis aux tourments que connaît l’esprit le plus
rassis quand il est le siège d’un combat
entre devoir et appréhension que je me rendis chez elle, muni des outils
nécessaires. Platoir, couteaux à enduit, ponceuse, rouleau et pinceau à colle,
cutter allaient entrer en action. Dès après le déjeuner, je commençai à décoller
au couteau l’enduit endommagé. Suivit, au platoir et au couteau l’application d’un
nouvel enduit. La nuit passa qui permit à ce dernier de sécher. Dès le matin
commença le ponçage recouvrant tout de poussière blanche. Après un dépoussiérage à l’éponge, la surface
était prête. J’encollai le plafond avant d’y poser le revêtement intissé. Il ne fallut que
quelques heures pour que l’opération fût terminée. Restait à découper au cutter
le surplus de revêtement et nos yeux ébahis purent contempler un plafond
parfaitement exempt de la moindre irrégularité, faisant douter qu’un jour et
demi plus tôt il offrait un désolant
spectacle.
Rompu, courbaturé, couvert de poussière blanche mais transporté
du bonheur ineffable qui emplit le cœur du héros triomphant, je pris une douche
avant de regagner mes pénates.