Je vis dans un endroit un peu rude au climat versatile mais
toujours frisquet qui pour moi est un paradis. Peu de voisins, pas d’autres
bruits que ceux des engins agricoles, des ruminants et de ceux qui les
escortent, peu de circulation, pas d’insécurité. Je n’ai que cinq kilomètres à parcourir
pour atteindre une petite ville pimpante où se trouvent les commerces
essentiels et quinze pour rejoindre Vire
où l’on trouve tout (et le reste). Je
dispose de moyens tout à fait adaptés à mes besoins réduits. Je possède une
charmante petite maison bien confortable entourée d’un jardin qui fait mes
délices. La retraite me permet ce luxe inouï qu’est l’absence d’horaires (ce n’est
pas moi qui irais m’imposer les contraintes qu’implique l’appartenance à une quelconque association !). J’ai, depuis dix ans, à mes côtés une compagne avec
qui je ne partage que les meilleurs moments et qui m’accepte tel que je suis. Ma
fille, bien que je la voie peu pour cause d’éloignement, m’apporte touts les
satisfactions qu’un père peut espérer. Ma santé est correcte (surtout pour
quelqu’un qui ne s’est jamais soucié d’une quelconque hygiène de vie). Le Net me permet, outre le plaisir d’écrire, d’agréables contacts virtuels avec des gens dont je
chercherais en vain les pareils dans mon environnement. Bref que demander de
plus ?
Et malgré tout ça, au lieu de ronronner calmement en
affichant des convictions « généreuses » comme fait le bon hypocrite,
je suis un affreux « Réac » !
Au lieu de me réjouir du changement de population et du fabuleux
enrichissement qu’il implique, au lieu de saluer l’émergence de nouveaux
droits, au lieu de pleurer sur les immenses fautes historiques de mon pays, au
lieu d’envier les riches et de prétendre aimer les pauvres, au lieu de nier l’insécurité
croissante, j’ose affirmer que l’ancienne population me suffit, qu’accorder
certains droits à certaines personnes est absurde, que porter des jugements
moraux sur l’histoire est ridicule, que je me fous de l’égalité économique, que
ce qu’on nomme pudiquement des « incivilités » pourrit la vie de ceux
qui en sont victimes !
On se demande bien pourquoi. Surtout que mes conditions de
vie et mon environnement me mettent à l’abri des turbulences du monde réenchanté
qu’on nous concocte. A cette objection,
je répondrai que mon bonheur est choisi. Rien ne m’a prédisposé, sinon mon
caractère solitaire et mon histoire personnelle, à vivre en des lieux écartés. Que ce qui fait
mon bonheur conduirait maintes personnes à l’ennui et à la neurasthénie.
C’est donc par pur altruisme, parce que je pense que ceux qui
n’ont ni la possibilité ni l’envie de partager mon style de vie ont eux aussi
le droit de vivre paisiblement que je m’oppose à ce qui, selon moi, mène notre
civilisation à des catastrophes plutôt
qu’aux joies ineffables d’un paradis bisounoursique. Je pourrais m’en foutre, me dire que tout va
pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, que tant que les
conséquences de choix désastreux n’affectent pas ma tranquillité, peu m’en
chaut. Je pourrais également me taire ou faire semblant de hurler avec les loups
tout en n’en pensant pas moins.
Seulement, si j’exprime certaines positions, c’est que je
suis bavard et qu’attendre d’avoir le feu chez soi pour « lutter »
contre, ou simplement constater l’incendie me paraît le signe d’une grande
légèreté voire d’une totale inconscience.