Nous arrivâmes à Madrid le jour suivant et trouvâmes un hôtel dans le centre,non loin de la Gran Via alors nommée Caille Jose Antonio, « fondateur et héros » de la Phalange espagnole. En passant devant certaines églises nous pûmes voir des régiments entiers faire la queue pour aller à confesse. Curieux spectacle ! Le soir, nous assistâmes à la procession du Vendredi Saint et vîmes, entre autres, défiler la croix rouge en grand uniforme et casque allemand, des armées de pénitents vêtus de « nazaréens » de couleurs vives et de « capirotes » pointus portant des statues de la Vierge et du Christ. Tout cela au son des tambours et des heures durant. On dira ce qu’on voudra mais en ces dernières années du Franquisme, ça avait de la gueule.
Le lendemain, nous visitâmes le Prado. L’Amerloque se refusa à y visiter les antiquités romaines vu qu’il en avait déjà vu suffisamment en Italie ce qui me laissa frustré et pantois. De manière générale, sa compagnie, mis à part qu’il nous servait de chauffeur, était plutôt désagréable du fait que peu de choses lui plaisaient. Je me souviens, vue sa totale ignorance de la langue, avoir dû renvoyer trois bols de café aux cuisines de la pension où nous résidions pour différents motifs : il voulait du café sans lait, puis sans sucre avant de rejeter le troisième sous prétexte qu’il n’avait pas le goût du café américain. Il m’embarrassait. Il était né trop tôt ! De nos jours, il pourrait vivre à l’Américaine partout en Europe.
Les meilleures choses, comme les pires et les médiocres ayant une fin, il me fallut prendre le chemin du retour. Des étudiants Nantais, revenant de faire un déménagement au Maroc me prirent à bord de leur fourgon à la sortie de Madrid où m’avait conduit gratuitement un taxi obligeant et violemment anti-franquiste. Arrivés à Irun, ils me demandèrent de descendre et de passer la frontière à pied, m’assurant qu’ils me reprendraient après le pont sur la Bidassoa et le poste-frontière. Je n’étais pas très fier lors de ce passage car j’avais pris soin de bourrer mon duvet de nombreux paquets de Ducados, cigarette brunes au goût infect mais au prix modique. Je n’eus aucun problème à la frontière et, comme promis, mes compagnons de route me reprirent passé le pont. Quelques kilomètres plus loin, ils s’arrêtèrent sur le bord de la route, l’un d’eux ouvrit le capot du fourgon et en sortit un paquet qu’ils ouvrirent. Il contenait des boites d’allumettes remplies d'herbe qui fait rire qu’ils avaient ramenées du Maroc pour mieux rentabiliser leur voyage. Ainsi s’expliquait leur curieuse requête à la frontière : il voulaient m’éviter les ennuis qu’auraient pu m’occasionner la découverte de leur paquet, ce qui, quoi qu’on en pense est tout de même gentil. Nos routes bifurquant, je continuai mon chemin avec pour seul événement « marquant » une nuit passée dans mon duvet sous un abribus à la sortie d’Angoulême. Pas du tout agréable, à vous décourager de finir clodo. N’avais-je pas trouvé de chambre ? N’avais-je plus un sou vaillant ? Va savoir…
J’ai, depuis fait plusieurs séjours en Espagne dans des conditions moins « aventureuses ». J’ai pu, au fil du temps, voir le pays changer au point que l’on s’y sent de moins en moins dépaysé. C’est bien dommage.