Comme bien des « boomers »
(j’emploie ce terme pour faire jeune) de « bonne famille »
(j’entends par là « petits-bourgeois catholiques de
droite »),
à l’adolescence, période où le cadre familial qui, à l’époque,
était généralement bien moins conciliant qu’aujourd’hui, est
souvent ressenti comme plus étouffant que protecteur, mon
rejet des valeurs
familiales prit un tour à la fois religieux et politique. Pour ce
premier aspect, je crois que lors de la distribution de la foi,
j’avais oublié d’apporter ma gamelle et qu’elle ne me fut
pas donnée. Pour le second, les circonstances m’aidèrent.
Au
lycée de Rambouillet où je passai mon année de terminale
(1967-1968) nous bénéficiions d’un corps professoral qui semblait
engagé dans un concours visant à déterminer celui ou celle de
ses membres qui serait le plus
communiste. Ils devaient, vu le public auquel ils s’adressaient (le
prolétaire y était rare), se sentir en terre de mission et
faisaient de leurs cours autant
de tribunes
d’où propager la bonne
parole marxiste.
Arriva
le joli mois de mai 1968 grand bazar auquel, comme je l’ai narré
ici,
je ne participai pas tant mon innocence juvénile m’amenait à ne
pas assimiler chienlit et
révolution. Il n’empêche que les graines semées dans mon esprit
malléable d’adolescent tourmenté germèrent et que, quelques
années durant, je professai des opinions très à gauche. Je rêvais
alors d’un monde égalitaire et juste, ne discernant pas que ces
deux termes étaient antinomiques. Cela m’amena même, par pur
anticommunisme primaire (le totalitarisme n’étant pas ma tasse de
thé), à adhérer un temps à la faction gauchiste du PS alors
représentée par un Chevènement encore jeune. Ça ne dura pas car
il n’est pas aisé de trouver plus chiant que des réunions de
section.
Toujours
est il que, jusqu’à ma vingt-sixième année, je me déclarais à
gauche, et même très à gauche. C’est lors d’un « mouvement
social » que cela prit fin. Je suivais les cours du Centre de
Formation des Professeurs d’Enseignement Général des Collèges en
la bonne ville de Tours. Un vent de révolte souffla sur notre
promotion. Je m’y joignis et en devins une figure. Le problème
était la sélection. Nombre de mes camarades tendaient à voir en
l’examen de sortie une impitoyable trieuse à séparer le bon grain
de l’ivraie. Comment accepter
pareille
chose ? Seulement,
mon enthousiasme premier s’émoussa. Car en y regardant de près,
la trieuse s’était en fait, les années passées, montrée très
bonasse et ne rejetait quasiment pas d’ivraie. Quand on
considérait le peu d’enthousiasme qu’une grande majorité de mes
condisciples mettaient à étudier, on pouvait même être amené à
penser que la lutte contre une sélection prétendue
drastique n’était qu’un moyen d’obtenir un diplôme sans rien
foutre. J’en arrivai à la
triste conclusion
que sous couvert de nobles
revendications égalitaires, généreuses et
irréalistes,
le véritable but des protestataires est
d’obtenir ou de conserver
pour eux-mêmes des avantages indus. Ce n’est pas le conflit actuel
des transports qui m’amènera à réviser ma position. Dès lors,
je cessai de voter à gauche et
de me syndiquer.
L’année
suivante, j’obtins, outre mon diplôme de PEGC, une licence
d’anglais, un DEUG de lettres et fus reçu major au concours des
IPES de Lettres Modernes de
l ‘Académie d’Orléans-Tours m’ouvrant
la porte à trois années d’études supérieures rémunérées par
la princesse. Il
faut croire que plus que des actions collectives c’était de
l’effort personnel qu’à mon humble niveau j’attendais
l’amélioration de mon sort.