Il m'arrivait de lire, dans des statuts
Facebook le mot « boomers ». Je n'y prêtais d'abord pas
grande attention, pourtant, la violence des critiques qu'on leur
adressait, la haine que certains leur portaient finit par
m'intriguer. C'était quoi, au juste un boomer ? Visiblement une
sale espèce d'individus dont d'aucuns souhaitaient la disparition
pure et simple. Si je ne voyais pas quelles pouvaient être les
caractéristiques spécifiques à ces nuisible peut-être était-ce
parce qu'on n'en trouvait ni en Corrèze ni dans la Manche mais
seulement dans les grandes métropoles où toutes sortes de racailles
pullulent ou apparaissent ?
Et puis un jour, comme ça, la lumière
se fit : ces charognes n'étaient autres que les baby-boomers,
c'est à dire, en Occident, les natifs des années allant de 1946 à
64 ! Pas étonnant qu'on ait supprimé le « baby »
car les plus âgés comptabilisent 73 ans au compteur et les plus
jeunes 55. Il faut avouer que pour un bébé ça commence à faire
beaucoup. Je pris donc conscience que non seulement des boomers, j'en
connaissais des tas, à commencer par mes frères, mais j'en étais un
moi même.
On ne dira jamais assez combien il est
doux de cultiver un sentiment de haine. On peut haïr quelqu'un pour
sa race, ses mœurs, son comportement, sa façon de s'exprimer, ses
goûts vestimentaires ou musicaux, son physique avantageux ou ingrat,
etc. La haine a tant de motifs possibles que le haineux a l'embarras
du choix et peut pratiquer le cumul sans problèmes. Ce sentiment
m'est, hélas, étranger. Je ne hais rien ni personne et c'est bien
triste car cela me prive des plaisirs ineffables que semble procurer
cette douce manie.
Toutefois, haïr quelqu'un sur la base
de sa date de naissance me parut tout de même curieux. Bien
évidemment, mes « amis » contempteurs de boomers sont
relativement jeunes. Ce sont souvent des enfants de boomers, je
suppose. A part être stupides, incultes, vulgaires, parfois à
l'aise financièrement et pour tout dire cons comme autant de valises
sans poignées, que leur reproche-t-on au juste ? Entre autres
de se l'être coulée douce, de bénéficier de grasses retraites
financées par ceux qui n'en toucheront aucune et d'avoir, avec leurs
conceptions soixante-huitardes mis la société dans le triste état
où elle se trouve, semble-t-il.
Mouais. Sans vouloir trop contrarier
ces braves jeunes gens, j'aimerais leur rappeler un fait : en
1973 a commencé ce qu'il est de bon ton d'appeler « la
crise ». Les boomers avaient alors entre 27 et 9 ans. Les plus
anciens d'entre eux, dont je fais partie (j'entrerai dans quelques
jours dans ma soixante-dixième année), se sont retrouvés dans une
société en changement, bien différente de celle à laquelle ils
avaient été préparés. Leur jeunesse, c'était la croissance sans
limite et le plein emploi. Les choses se corsèrent et la vie se fit
moins douce. Beaucoup se trouvèrent mis hors du jeu social : nombre
d'entreprises, des secteurs entiers de l'économie disparurent
laissant certains de leurs employés sur le carreau. Quant à leur
responsabilité dans l'établissement de la société de merde que
déplorent mes « amis », je crains qu'elle ne soit pas si
grande qu'ils veulent le croire. Il est possible que plus qu'eux, ce
soit la logique d'un système économique et les conséquences d'une
démographie en chute libre qui en soient la cause.
Quoi qu'il en soit, je ne me reconnais
pas vraiment dans le portrait-robot que ses ennemis brossent du
boomer. Réac depuis plus de quarante ans, mon progressisme est très
modéré, j'ai connu bien des vicissitudes, quelques hauts, bien des
bas. Si aujourd'hui je bénéficie d'une certaine aisance ce n'est
pas de mon fait mais de celui de mes parents qui, eux, de la fin de
la guerre à leur fin de carrière ont connu un parcours sans
accidents. Ayant connu la pénurie leur génération était rarement
cool et les jeunes étaient impatients de quitter un nid pas toujours
très douillet. Pouvait-on leur en vouloir pour autant ? Ça ne
me paraît pas raisonnable. Chaque génération est le produit de son
environnement socio-économique. Que les plus jeunes tentent de
créer, avec les moyens qui sont les leurs, une société qui leur
convienne ! C'est ce qu'ont tenté leurs aînés.