J'ai de plus en plus l'impression que
l'Occident, dans son ensemble est devenu fou. A la différence de la
peste de la fable, cette folie n'est mortelle qu'à terme. Mais tous
en sont touchés. Le plus élémentaire bon sens est prié de se
taire. L'ultra-minoritaire se voit propulsé à l'égalité avec le
général. Le déviant devient normal et vice-versa. A quoi bon en
donner des exemples ? Leur multiplicité est telle que les
nommer reviendrait à annoncer comme une découverte révolutionnaire
celle de l'eau tiède.
Rares deviennent ceux pour qui un et un
font deux. Pour la majorité, un et un peuvent faire tout ce qu'ils
veulent. Car elle a découvert que le monde est complexe, qu'il n'y a
pas de règles générales, que tout se discute y compris et surtout
les plus élémentaires évidences. Les paradoxes les remplacent. On
peut concéder que le roi soit nu, à condition de déclarer bien
vite que la nudité est riche vêture (et, évidemment, vice-versa).
La négation des évidences permet une multiplicité des opinions qui
à leur tour engendrent un fractionnement du corps social. Au stade
où nous en sommes, certains paradoxes à succès permettent encore
momentanément l'émergence d'apparentes majorités qui ne le sont
que par défaut.
Dans ces conditions, il devient
difficile de s'intéresser à la politique. Celle-ci devient
théâtrale. Pour les leaders (ou premiers rôles) il s'agit de se
rallier aux paradoxes en vogue tout en laissant entendre que par
certains côtés subsidiaires ils s'en tiennent à l'écart. Agir
autrement serait extrémiste, c'est à dire se voir marginalisé car
dans le système actuel, pour arriver au pouvoir, le présumé
extrémiste doit mettre de l'eau consensuelle dans son vin jusqu'à
ce qu'il n'en reste plus que d'infimes traces.
Être réac n'est pas la solution. Ne
serait-ce que parce qu'il n'exista jamais d'âge d'or. La solution
pour moi consisterait à conserver le meilleur du passé, à en
effacer les aspects moins glorieux et à adapter ce qu'on en a retenu
aux données nouvelles d'une société qui change inéluctablement.
Le progrès dans la continuité comme disait l'autre. Ce qui
implique, évidemment, de maîtriser le changement et de lui imprimer
un cap en accord avec des valeurs ayant fait leurs preuves. Ce qui
est tout le contraire du cul-par-dessus-tête actuel.
Seulement, qui défend ce genre de
position ? Tout le monde en théorie, personne en réalité car
depuis que un et un peuvent faire ce qu'ils veulent et généralement
pas deux, la continuité est discutable et le progrès polymorphe.
C'est pourquoi je suis de plus en plus tenté de m'abstenir de tout
soutien à un mouvement quelconque.
Ayant la chance de me trouver satisfait
de mon sort, je préfère laisser à ceux qui se sentent à l'aise
dans la folie courante le soin de décider de qui sera ou seront le
ou les joueurs de flûte les plus aptes à les conduire vers
l'extinction finale. En attendant ce beau jour, j'espère pouvoir
continuer encore un peu, bien loin de la course des rats, à mener
l'existence heureuse que me procurent mes passe-temps futiles.