Vivre dans un bourg a ses avantages :
on peut y aller acheter sa baguette à pied, saufquand il pleut. Mais
toute médaille a son revers (et vice-versa) : on y a de proches
voisins et, comme chacun sait, la nocivité de cet ennemi de l'homme
est directement proportionnelle à sa proximité.
Ces derniers jours, ayant quasiment
terminé la rénovation du rez-de-chaussée, je me suis accordé des
vacances, et comme le temps s'y prêtait, j'ai profité de ces
moments de loisir pour labourer le petit lopin où je compte faire
pousser quelques légumes. La surface en est extrêmement réduite
car, je dois l'avouer, je préfère cultiver ces dernier à les
manger. J'ai donc passé mes après-midis au soleil. Curieusement, je
ne fus pas seul à profiter des beaux jours pour m'adonner au
jardinage ou à d'autres activités extérieures.
Sur l'avenue, à deux pas de chez moi,
un de ces téméraires que rien n'arrête a décidé d'ouvrir une
brasserie. Pour ce faire il a racheté un ancien bistrot qui, comme
beaucoup dans le bourg, avait dû fermer pour cause de clientèle
insuffisante et y a entrepris des travaux qui, sans être
pharaoniques, n'en sont pas moins conséquents. Parmi ceux-ci,
l'installation d'une vaste terrasse à l'arrière de l'établissement,
vu qu'au devant c'eût été malaisé car elle eût empiété sur la
voie publique et partant grandement gêné la circulation.
Évidemment, le terrassement, la mise
en place des réseaux électriques ou d'évacuation des eaux
pluviales, l'épandage puis le damage du gravier sur lequel sera
coulée la dalle sont des tâches qu'il vaut mieux effectuer par beau
temps que sous la pluie battante. Une équipe d'ouvriers vint donc
les réaliser. Mais le bruit des machines utilisées à cet effet,
s'il nuisait à ma tranquillité, ne fut pas la seule source de mon
agacement. Car figurez-vous que, contre toute logique, les ouvriers
travaillèrent dans un climat surprenant : les plaisanteries
fusaient de toute part, engendrant des rires gras ! La présence
d'une jeune femme (ou grognasse) venue contempler le travail des
hommes n'était pas pour rien dans ces accès d'alacrité.
Lorsqu'elle demanda aux damnés de la Terre de s'essayer au maniement
de la dameuse, c'est avec plaisir qu'ils accédèrent à sa requête
et ceci au mépris des recommandations de sécurité les plus
élémentaires de l'Inspection du Travail !
J'avoue avoir été choqué par tout
cela. En effet, si l'on en croit nos chers media, les Gilets Jaunes
qu'ils invitent et les politiciens de tout bord, la France de
l'odieux M. Macron vit dans une misère atroce et le travailleur n'y
peut plus vivre de son labeur. A compter du dix du mois, sa famélique
famille contemple, les larmes aux yeux et la faim au ventre, la
vacuité d'un réfrigérateur dont on se demande comment il a bien pu se
l'offrir. Dans ces conditions, comment expliquer que ces modestes
employés puissent avoir le cœur à rire ? N'est-ce pas là un
signe du divorce entre peuple et élites, les premiers vivant
généralement heureux tandis que les seconds ne peuvent prospérer
que grâce à l'exploitation de supposés malheurs ?
L'autre nuisance sonore dont je pâtis
fut celle du concert qu'offrit au quartier le chien de la voisine (ou
vieille bobine). Celle-ci, quand elle ne s'engueule pas avec son
compagnon , c'est à dire quand il est absent, converse avec son
chien et souvent sur un ton peu amène. La pauvre bête ne lui répond
pas plus que ne le feraient mes lombrics si d'aventure il m'arrivait
de tenter de taper la discute avec eux. On serait donc en droit de
parler de monologue plus que de conversation. Hier donc, ledit chien
se rendit coupable d'une faute que, sans en connaître la nature, je
suppose grave car elle lui valut une impitoyable sanction que la
brave dame (ou vieux tableau) lui annonça : il serait mis au
piquet (comme jadis le mauvais enfant) le reste de l'après-midi
durant. La sentence fut appliquée séance tenante et aux rires
déplacés des inconscients prolétaires vint se mêler le long
lamento du canin condamné.
C'est ainsi que le voisinage peut
gravement perturber ce calme de l'âme qu'engendre un après-midi
radieux voué au labour.