Si vous disposez d'un vaste logement
équipé d'un fleuve et accueillant une faune et une flore tropicales
abondantes et variées, ce qui, j'en conviens, est rarement le cas à
Paris intra-muros, l'eunecte pourrait constituer pour vous un NAC
(Nouvel Animal de Compagnie et, dans ce cas précis, de PAS TRÈS
BONNE compagnie). J'en vois déjà certains se gratter la tête en se
demandant ce que peut bien être un eunecte, et parfois même
envisager de recourir au dictionnaire. Je leur éviterai ce tracas en
leur précisant que l'eunecte est mieux, quoique souvent trop mal,
connu sous le nom d'anaconda. Appartenant à la famille des Boidae,
une famille généralement respectable et respectée et dont il est
la honte (cf.infra), il a pour cousin le boa constricteur que seuls
les lecteurs distraits confondent avec un maçon.
C'est une belle bête qui peut dépasser
les 200 kg. La femelle, plus grande que le mâle, atteint une
longueur de six à huit mètres tandis que son partenaire se contente
de n'en mesurer que de quatre à six. Notons toutefois qu'un grand
mâle, de la même taille qu'une petite femelle, n'aurait pas l'air
ridicule sur les photos de mariage à condition que son élue ne
porte pas de talons hauts. S'il y avait mariage. Car, et ça arrive
dans les meilleures familles hélas, la dame eunecte est une fieffée
salope. Il n'y a pas d'autre mot. Figurez-vous qu 'en émettant
des phéromones, cette dévergondée attire jusqu'à douze
partenaires qu'elle entraîne dans un « ballet nuptial »
(Ah qu'en termes galants ces choses-là sont mises) ! Une
honte ! Même une ministre de la République ne fait pas ça !
Enfin, pas régulièrement. De ces partouzes naissent jusqu'à
cinquante petits mesurant entre 60 et 90 cm. Leur mère indigne les
laisse se débrouiller seuls dès leur naissance ce qui a pour heureuse conséquence une forte mortalité périnatale. A ce propos, je ne
saurais trop mettre en garde mes lecteurs contre les pratiques
malhonnêtes de certaines animaleries qui tentent de faire passer des
bébés anacondas pour des couleuvres adultes. Ceux qui les achètent
et s'y attachent se voient vite contraints d'agrandir leur baignoire,
voire de déménager avant de se résigner, la mort dans l'âme, à
les vendre à quelque restaurant chinois. C'est bien triste.
Vous vous en doutiez déjà un peu,
l'anaconda, aime l'eau. Il vit quasi continuellement dans les fleuves
ou les marécages des zones subtropicale d'Amérique du sud. Et là,
ne laissant apparaître que ses yeux, il attend ses proies. Celles-ci
vont des gros rongeurs au tapir en passant par le capybara, les
poissons, les tortues, les caïmans et, horresco referens, jusqu'aux
chiens. Que les espèces soient en voies d'extinction, il s'en
tamponne ; de la peine qu'il occasionne aux maîtres de braves
toutous, pour reprendre ses termes, il se « contrefout ».
Ayant mordu ses proies, il les entraîne sous l'eau où il les noie à
moins qu'il ne les étouffe avant de les avaler. Vu qu'il ne les
mâche pas, il laisse à ses puissants sucs digestifs le soin de les
digérer. Cette digestion peut durer de quelques jours à plusieurs
semaines selon la taille de la proie (pour une belle-mère, compter
un bon mois).
Les conditions requises pour que ce
compagnon ne souffre pas trop de sa captivité le rendent difficile à
héberger. Sans compter que si vous possédez un chien ou une frêle
grand-mère auxquels vous tenez mieux vaudrait éviter qu'ils ne s'en
approchassent trop. Un des rares aspects positif de l'animal est
qu'il peut rester jusqu'à deux ans sans manger. Chose que vous ne
pourriez raisonnablement attendre du chien qui vous ruine en
croquettes. Maintenant que vous savez tout, à vous de décider si ce
NAC vous convient et si vous êtes en mesure de l'accueillir
dignement.
Pour finir, je mentionnerai deux
expressions courantes relative à cet animal :
« Trop poli pour être
eunecte » souligne les côtés grossiers de la bête.
« L'eunecte plus ultra »
signale ses tendances politiques souvent extrémistes.