Du temps de ma lointaine jeunesse,
Jacques était un prénom très répandu. Surtout parmi les hommes et
les enfants de sexe masculin. La plupart des gens importants le
portaient, comme en témoignent en France Jacques Anquetil, Jacques
Chirac, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Delors, Jacques Pompidou et à
l'étranger Jacques Staline, Jacques Mussolini, Jacques-Tsé-Toung ou
encore Jacques Hitler.
Et puis, il a disparu. Seuls quelques
vieillards cacochymes continuent, faute de choix, de le porter. Sur
les centaines d'élèves que j'ai rencontrés au cours des 20
dernières années de ma carrière, j'ai pu, en tout et pour tout ,
en compter un seul ! Comment expliquer cette quasi-disparition ?
On pourrait arguer de la mode. C'est en
effet tentant, cependant, de l'expression « Pierre, Paul,
Jacques » censée représenter tout le monde du temps de
leur splendeur, seul Jacques ne connaît pas le moindre regain de
faveur .
Je crains que la raison véritable ne
soit dans la croyance répandue qu'un prénom conditionne l'existence
de qui le porte. Nombre de publications décrivent le caractère qui leur correspond. C'est en général très positif. C'est en vain qu'on y
rechercherait des portraits du genre « Les
Népomucène sont des personnes chez qui la fourberie n'a
d'égale que la cruauté, l'avarice et la perversité. D'une
lubricité qui les mène aux pires déviances, ils sont généralement
ivrognes et toxicomanes. Leur fainéantise naturelle leur font
préférer le vol, l'escroquerie et toute forme de crime à un
honnête labeur. Obséquieux avec les puissants, orgueilleux avec les
faibles, ils ne trompent vraiment personne et font l'objet d'un
mépris général. Ils finissent généralement sur le gibet ou
massacrés par une foule d'honnêtes citoyens révoltés par leur
conduite. Ce n'est que justice. ». Même les Jacques y ont
de bons côtés. D'autre part, comme le montre la liste ci-dessus
dressée, nombre de personnages éminemment respectables ont porté
ce prénom. Seulement, il y a un hic...
« Ne fais pas le Jacques ! »
entendait-on souvent. Cette expression signifiait au mieux « Jouer
les plaisantins » et au pire « Se comporter en
niais ». En langage moderne, l'expression ambivalente la
plus proche serait : « Ne fais pas le con ! ».
Or les Jacques ne font pas le Jacques, ils le sont ! C'est
rédhibitoire. En effet, le temps est loin où un peu de fantaisie
voire de niaiserie était socialement acceptable. A notre époque, on
ne fait plus le Jacques, on tend à faire, avec plus ou moins de
succès, l'intelligent, le sage, le raisonnable. Il n'y a donc plus
de place pour les Jacques.
Peut-on espérer les voir refleurir ?
Mon optimisme tend à me le faire espérer. Après tout, n'a-t-on pas
vu Jules revenir à la mode après des décennies de total
ostracisme ? Je me souviens d'un ami de mon père qui se faisait
appeler Paul tant il croyait que se nommer Jules aurait fait de lui l'objet d'incessantes
moqueries. Seulement pour que la renaissance espérée des Jacques se
produise, il faudrait que notre société change. Et grandement...