Comme chaque année à pareille époque,
j'ai reçu hier la visite d'un homme dont la tenue laissait présager
son appartenance au glorieux corps des sapeurs-pompiers du canton.
Impression confirmée par le magnifique calendrier qu'il tenait en sa
main calleuse. Le soldat du feu m'annonça que j'étais le dernier de
sa tournée vu que j'étais absent lors d'un précédent passage. On
n'échappe pas au calendrier comme ça !
Ce matin, ne sachant trop que faire je
feuilletai ce magnifique opuscule et y découvris un petit bijou
littéraire dont il serait coupable de ne pas vous faire profiter.
L'auteur en est le maire d'un village que j'appellerai
Mont-Saint-Frusquin. Ce brave homme, que je prénommerai Marcel,
cédant à l'amicale pression des pompiers du cru, avait entrepris de
brosser un rapide historique de son village. On peut supposer que de
longues heures d'efforts intenses furent nécessaires pour que
s'érigeât ce monument de littérature brute.
Marcel attaque fort. «
Mont-Saint-Frusquin, point culminant du canton de Saint-bidule,
village attachant par son histoire très marquée, sa richesse
patrimoniale, sa diversité bocagère, sa vie culturelle et festive
dynamisée par 8 associations... Une commune qui vaut le détour et
voit défiler, chaque année, pas loin de 50 000 visiteurs. »
Comment expliquer une telle
fréquentation ? C'est bien simple : « Notre
commune est attractive grâce à ses sites des plus renommés tels
que le Cimetière Américain invitant les touristes à s'abandonner à
la plénitude dans un silence religieux ». Et ce n'est pas
tout : « A proximité de l'église, la table
d'orientation offrant une imprenable vue panoramique où les
passagers sont béants d'admiration devant les courbes lointaines du
Mont-Saint-Michel perceptibles par temps clair ». Par temps
couvert, j'espère qu'on a quand même quelque chose sur quoi béer
d'admiration !
Et ce n'est qu'un début : « On
peut aussi se recueillir en passant près du carré Marocain où
reposent des soldats de la 2e division blindée du Général Leclerc
mort pour la France » (A ne pas confondre avec un autre
Général Leclerc mort sans motivation précise à moins que, malgré
l'absence de « s » ce soient des Marocains qu'on parle.).
Une simple mention de la chapelle
restaurée et nous en venons au clou de la fête touristique :
« Le Manoir du bois Léon, , seule ferme à cour carrée du
canton de Saint-Bidule vieille de … Ans (Là l'érudition de
Marcel cale un peu et l'imprimeur ne sait la palier) où se dresse
l'entrée austère d'une propriété privée cachant derrière elle
des aménagements rapiécés fidèlement à la trame de l'ancien bâti
encerclé d'une douve aux douelles empierrées où les graines ont
trouvé refuge pour laisser se ramifier toutes sortes de plantes
herbacées à tissu végétal verdoyant et vivace, du coriace qui
s'accroche au passé solidifiant les vestiges tout en dévoilant
d'autres perspectives jusqu'à susciter
l'émerveillement ! ». Visiblement,
après un tour de chauffe, la verve poétique de Marcel vient de
passer la surmultipliée !
Tout
ça donne soif : « Enfin, dernière halte
au Bar du Paradis pour siroter un rafraîchissement en échangeant
des impressions ou tout simplement en se laissant bercer par le flux
de nouveaux touristes arrivant ».
Après avoir connu les ineffables joies de la plénitude, de la
béance, de l'admiration et de l'émerveillement, voilà qu'on berce
le touriste ! Il est gâté-pourri à Mont-Saint-Frusquin !
Mince,
on allait oublier un truc important : « Mont-Saint-Frusquin,
ce bourg fleuri, quasi exempt de réminiscences guerrières
(si on excepte le Cimetière Américain et le Carré Marocain) malgré
la charge de son histoire, est un bourg accueillant qui aspire à la
tranquillité (dommage que tant
de touristes viennent la perturber!). En plein cœur,
l'habit du château d'eau érigé vers le ciel sera prochainement
revêtu d'une fresque pour égayer notre village."Est-ce vraiment nécessaire ?
Et
puisqu'il faut conclure : « Les touristes, au
gré de leurs parcours itinérants où cohabitent généreusement
fleurs et douceur de vivre, partiront de ce pays Montais,
nostalgiques, avec une seule envie : celle d'y revenir... »
(Comme on les comprend!).