Eh oui, malgré le peu d'envie que ça
m'inspire, il m'arrive d'assister à des baptêmes, communions et
autres mariages. S'il m'est facile d'éviter ceux de ma famille qui
me sait ours et qui s'y est habituée, mon âme généreuse
m'interdit de peiner ma compagne en la laissant s'y rendre seule.
Bien entendu, c'est avec un enthousiasme mesuré que je me prépare
à l'épreuve. Ce qui n'est pas sans avantages : m'attendant au
pire, je suis à l'abri de toute déception. Je dois même
reconnaître que ça se passe toujours bien mieux que je ne le
redoute. Or donc, je fus de la noce.
Le fils de ma compagne, après vingt
cinq années de réflexion et deux enfants déjà bien grands
convolait en justes noces avec l'élue de son cœur. Décision qui
bien qu'un rien hâtive n'en était pas moins sage. Les invités
étaient cordiaux, la nourriture et les vins aussi savoureux que
généreusement servis. Bref, je terminai la soirée un peu las mais
bien content. Entre autres rencontres, je fis la connaissance de
Jean-marc, le père de la mariée. Un homme charmant et plein
d'humour qui, simulant la colère, reprocha avec une feinte amertume
au père de son gendre d'avoir négligé de lui offrir quelques
chameaux, bœufs et moutons comme il eût convenu qu'il le fît avant
qu'il ne lui accordât la main de sa fille.
La Normandie est terre de mystère et
de coutumes étranges, cependant celle d'offrir une dot au père de
la mariée ne fait pas partie de ses bizarreries. Il faut dire que
cette comédie trouvait sa source comme son sel dans le fait que
Jean-Marc, de son vrai prénom Ousmane, est d'origine malienne et
qu'arrivé en France, il a trouvé chaussure à son pied en la
personne d'une belle Normande qui lui offrit quatre enfant avant de
disparaître prématurément, lui en laissant la charge qu'il assuma.
Amateur entre autres de whisky et de pêche, infirmier de profession,
il joua avec succès la carte de l'assimilation. Portant des prénoms
chrétiens, ses enfants suivirent sa voie et pour déceler chez ses
petits enfants des traces d'africanité, il faudrait un œil bien
exercé.
Bien entendu, parvenir à ce niveau
d'assimilation demande de la part de l'immigré bien des
renoncements. D'un autre côté, si l'on choisit de couper ses
racines, de choisir une autre terre pour y mieux vivre, il paraît
logique que ce n'est pas pour s'y installer dans la nostalgie morbide
d'une patrie idéale de plus en plus fantasmée à mesure que
s'écoule le temps. Émigrer devrait résulter d'un choix et non d'un
simple rêve de prospérité matérielle.
Une de ses filles à qui je m'ouvris de
l'admiration que je ressentais fasse à cette réussite me dit qu'en
fait, tous les immigrés de sa génération étaient ainsi. Ayant
rencontré ou oui parler de plusieurs cas similaires, je le crois.
Qu'est-ce donc qui fait qu'aujourd'hui
l'assimilation semble devenue si difficile pour certains ? Ne
serait-ce pas dû à un trop grand afflux d'allogènes qui, du fait
de leur nombre, ne se trouvent pas contraints de se noyer dans la
masse des « Français de souche » et sont en mesure de se
constituer en « communautés » ? Cela n'est-il pas
dû également au ralentissement de la croissance économique qui
laisse sur le carreau les moins armés ? L'idéologie
communautariste venue des USA où on l'a préférée au mythe du
« melting pot » n'y jouerait-il pas un rôle ? Les
courants fondamentalistes qui parcourent l'Islam compliqueraient-ils
les choses ?
Quelles qu'en soient les multiples
causes et leurs interactions, je pense et continuerai de penser que
l'assimilation est la seule solution capable d'éviter que ne se
produisent des conflits plus ou moins graves entre des
« communautés » soi-disant parfaitement « intégrées ».
Avec Jean-marc, on s'est quittés en se
promettant de boire quelques canons ensemble. En aurons-nous jamais
l'occasion ? Moi, j'aimerais bien.