J’ai commis une incivilité. Oh, pas du genre pardonnable
comme voler une voiture ou rouer de coups une vieille dame, non, quelque chose d’irrémédiable.
Hier, tandis que je mettais à profit l’absence de pluie pour
tailler les branches mortes des fuchsias et débarrasser les plates-bandes de plantes
mortes de froid, j’aperçus mes chers voisins Guy et Arlette qui se rendaient à
bord de leur beau tracteur orange vers leur pré de la Nouette, lui au volant,
elle fièrement campée dans la benne. Ma réserve de bois étant épuisée, j’attendais
une occasion pour leur demander s’ils pourraient m’en céder un stère. Ce
passage en étant une, je la saisis aux cheveux et leur adressai de grand
signes. Croyant d’abord à une simple salutation, ils me rendirent la politesse
mais mon insistance alerta Arlette qui ordonna à Guy de stopper son bolide. D’un
bond preste, elle sauta de la benne et se dirigea vers moi. Je lui formulai ma
requête qu’elle m’annonça être en position de satisfaire. Je lui précisai que
je préférais être livré un jour où il ne pleuvrait pas. La brave femme, toujours empressée d’empocher un petit billet de cinquante
Euros de rendre service à son prochain, consulta sans délai son cher mari
et m’annonça qu’ils arrivaient avec mon bois, le temps d’en charger la benne.
Ce qui fut dit fut fait et quelques minutes plus tard le
combustible se trouvait sur ma pelouse en attente d’être rangé. Me trouvant en
possession de rhizomes d’iris surnuméraires, je demandai à Arlette si ça l’intéresserait
que je lui en fasse don. Elle accepta après avoir vérifié qu’il s’agissait bien
de fleurs bleues. Puis ils partirent me laissant aux joies de l’entreposage et
du sciage.
Le soir alors que je narrais cette aventure à ma compagne,
elle me demanda si je leur avais offert le café. Je lui répondis que non. Elle
me dit que j’avais commis là une grave incivilité car en de telles circonstances
il est de rigueur d’offrir café et biscuits. J’ai beau avoir été maintes fois chapitré
sur la question, détenir une provision de biscuits en vue de telles occasions,
je n’y pense jamais. Parce que je ne bois jamais entre les repas. Seulement un
tel manquement aux règles de la bienséance ne saurait se voir effacé par une si
faible excuse. Selon mon éducatrice en mœurs rurales, je finirai mal considéré
si ce n’est chose faite.
J’espère que le fait que je paye rubis sur l’ongle et en
espèces tout ce que j’achète à mon voisinage m’évitera d’être voué aux gémonies
mais sera-ce suffisant ?