..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

mardi 7 octobre 2014

De l’ « actualité » des classiques



François Hollande, à la recherche d’une roue de secours, nomme, fin 2014, après la démission du gouvernement Valls, Marylise Lebranchu premier ministre. Martine Aubry, qui guignait le poste, vexée comme un rat et folle de rage à cette annonce, fout à travers la gueule de celle qu’elle considère être une rombière hors d’âge, un pain à lui faire faire trois tours dans son string. Elisabeth prend mal la chose et confie sa rage à sa fille Léontine, laquelle se trouve alors dans le caca noir, vu qu’elle projetait de se pacser avec Élodie, la fille de Martine. Mais bon, le devoir, c’est le devoir et il faut remettre les bouffons à la place qui leur revient. Elle décide donc de régler son compte à la Martine et l’attend, kalachnikov en main à la sortie de son bistrot favori. Victime d’une overdose de plomb dans les viscères, la brave Martine rend l’âme. Élodie en est toute contrariée.  C’est alors que l’on apprend que des fascistes, refusant la GPA et la PMA se dirigent vers l’Élysée pour y contester le bien fondé des politiques sociétales du François.  Le sang de Léontine ne fait qu’un tour, et, à la tête de quelques républicaines résolues, elle se porte à l’avant des trublions, bientôt rejointe par des cohortes citoyennes. Ensemble, ils anéantissent les fachos. . Ce que constatant, François pardonne à Léontine son mouvement d’humeur, étouffe l’affaire et lui affirme qu’en gnougnoutant la touffe d’Élodie de temps à autre et grâce son appui, les choses finiront bien par s’arranger un jour.

Qu’est-ce que c’est que cette connerie se demanderont certains qui n’auront pas reconnu dans cette fantaisie une version modernisée du Cid de Corneille ? Cette ânerie politico-fictionnelle m’a été inspirée par un reportage entrevu à la télé et consacré à une « nouvelle lecture », comme ils disent, du Tartuffe où les personnages portaient des costumes plus ou moins modernes.

Moderniser Le Cid ou Tartuffe me paraît totalement absurde. Tenter de faire de Rodrigue ou d’Orgon des personnages contemporains est ridicule car si peuvent encore se poser le problème du choix  entre amour et devoir ou celui  de l’hypocrisie des fanatiques ça ne saurait aucunement être dans les mêmes termes que dans la première ou la seconde moitié du XVIIe siècle. Corneille met sa plume au service de la politique de Richelieu. Il traite des problèmes contemporains de la France même si l’intrigue est censée se dérouler au XIe siècle espagnol. De même Tartuffe se fait l’écho des débats de son temps : le parti dévot s’y sentira attaqué et fera interdire la pièce avant que le roi n’en autorise la représentation deux ans plus tard.  

Si les pièces du répertoire classique ont un intérêt, il faut le chercher dans leurs qualités intrinsèques et non dans leur capacité à traiter des questions d’actualité. Un avare d’aujourd’hui n’a pas le comportement d’Harpagon pas plus que Scapin n’est l’archétype du personnel de maison d’aujourd’hui. Quand au bon Charlemagne des chansons de geste, si chères à l’ami Mat, il faut une capacité peu commune à la distorsion des faits pour y voir un président de la Ve république.

Si on veut traiter des mêmes sujets à la mode de notre époque, il faut écrire de nouvelles pièces et non habiller Rodrigue en costume trois-pièces, faire de Tartuffe un « intégriste » d’aujourd’hui ou de Charlemagne un démocrate humaniste. La démarche qui consiste à « actualiser » les personnages classiques relève de la plus crasse des démagogies et du mépris d’un public qu’on juge incapable de comprendre les problématiques d’une autre époque et suffisamment infantile pour ne pouvoir s’intéresser qu’à ce qui concerne son quotidien.

lundi 6 octobre 2014

Combien d’égorgements aujourd’hui ? (Billet cynique)



Les islamistes continuaient d’égorger au couteau ébréché de plus en plus d’otages. Hélas pour eux, dans l’indifférence générale. On s’y était fait. Ce qui était au départ apparu comme le summum de la cruauté s’était peu à peu transformé en statistiques. Les premières décapitations avaient fait un tabac. On poussa les hauts cris ici et là, on parla d’inacceptable barbarie, on évoqua d’éventuelles et terribles représailles. Et puis, comme toutes les choses qui se répètent, on finit par s’en lasser, ça devint un chiffre comme celui des morts de la route, du tabac ou du suicide, en bien moindre…

Pour relancer la machine à indigner, on égorgea les nouveau-nés de volontaires humanitaires, on tourna des vidéos de viols collectifs de leurs femmes avant qu’on ne les crucifie, mais ce ne furent au départ que des demi-succès avant qu’ils ne rencontrent la plus parfaite indifférence. On engagea alors, à prix d’or, des communicants de pointe pour tenter de relancer l’intérêt mais rien n’y fit. Ahmed Abdel Trucmuche, l’homme qui décapite plus vite que son sabre, fit un temps renaître l’espoir : quarante Amerloques,  dix Angliches, huit Franchouillards et deux Chleus zigouillés en 60 secondes chrono,  d’un coup net, d’un seul,  il faut reconnaître que ça avait de la gueule. Mais,  que voulez-vous, même les plus étonnants numéros de music-hall fatiguent à la longue…

Le principal problème des barbares est leur barbarie. Leur cerveau arriéré  leur interdit de comprendre la mentalité de l’occidental d’aujourd’hui. Ils croient sottement pouvoir l’influencer par de dérisoires mises en scènes, ils pensent pouvoir ainsi instiller l’effroi dans son esprit. Seulement, l’occidental a bien d’autres préoccupations. Quelques exécutions sommaires pratiquées dans le trou du cul du monde, quoi qu’il prétende, l’intéressent bien moins qu’un retard de paiement de ses allocations, que le futur score de l’équipe qu’il soutient ou que le prochain tirage du loto.

Il y a des pros chargés de ces affaires : on les envoie larguer quelques centaines de tonnes de bombes sur la tête de ces connards, lesquelles font bien plus de victimes en beaucoup moins de temps qu’Ahmed Abdel Trucmuche au mieux de sa forme, victimes dont on se fout au point de ne pas prendre la peine de les mentionner. Et le monde continue de tourner…

Les barbares vivent dans un monde de foi violente. Notre monde est fait de spectacle et d’indifférence où les bons sentiments affichés dissimulent mal la vacuité morale. Quelque part, le barbare nous prend pour son égal, son semblable, son frère. Il tente de nous frapper là où ça lui ferait  mal. Il se trompe. Des décennies d’abrutissement nous ont rendus quasi-invulnérables aux attaques externes. Nous ne saurions mourir que des maux internes qui se développent sous notre impénétrable cuirasse. C’est de ces derniers que nous ne réchapperons  pas !

dimanche 5 octobre 2014

Les poules au père Milien (2)



Contrairement à nos attentes, le petit Jock grandit en âge  mais non en sagesse*. Bien que petit son museau plutôt court  ainsi que sa couleur annonçassent le boxer, son nez se mit à s’allonger et si son poil  resta ras, rien d’autre en lui ne rappelait sa mère. Il devint d’une taille, d’un poids et d’une musculature impressionnantes au point qu’un ami quand nous le visitions s’empressait de mettre son chien, un groenendhal de belle taille, à l’abri de peur qu’il n’en fasse qu’une bouchée. Alarme vaine, car ce chien était un pacifique. Il ne manquait pas d’appétit et eût pu sans problème entrer au Guiness Book, catégorie goinfre. Entre autres choses, il était  friand d’œufs comme nous le constatâmes un jour qu’il en rapporta un dans sa gueule suite à une expédition dans une ferme voisine avant de le déposer au sol, d’en percer la coquille d’un coup de dent puis de s’en repaitre en le faisant rouler dans l’herbe à grands coups de langue. Mais, en dehors des joies du sport, est-il indispensable de se lancer dans de longues courses à travers champs quand on a un poulailler si près ? Jock dut penser que non.

Milien constata que des coquilles d’œufs trainaient aux alentours de son poulailler. Tout de suite il accusa de ces forfaits les margottes, nom tourangeau de la pie. On le vit donc prendre son fusil et débarrasser les alentours de ce corvidé voleur.

Un soir d’été que nous prenions le frais devant la maison, nous fûmes intrigués de voir notre benêt de chien effectuer une curieuse et sautillante danse dans  les herbes hautes du champ d’en face.  Tels de bons parents se réjouissant au spectacle de la vitalité de leur progéniture nous admirâmes d’abord son entrain mais, la danse tendant à s’éterniser, nous finîmes par nous rapprocher, intrigués de son manège. Nous comprîmes alors la raison de tant de cabrioles : Jock s’était trouvé une camarade de jeux : une des poules de Milien, paralysée de terreur et entourée des plumes qui manquaient cruellement à son dos se trouvait au centre de l’aire d’herbe qu’avaient couchée les bonds et autres approches rampantes du chien. A son grand regret, nous rentrâmes le chien mettant ainsi fin au martyre de la poule. Mais ce n’était qu’un début…

Un matin, nous découvrîmes près de notre porte le cadavre d’une amie de Jock que le jeu avait épuisé. Afin d’éviter de stériles conversations avec ce vieux con de Milien, je pris la voiture et balançai le corps du délit dans un fossé à quelque distance. Seulement, chaque fois qu’il parvenait à s’échapper de son enclos, et à ce jeu il était très fort, le chien remettait ça…

Il n’échappa pas à Milien que son cheptel aviaire diminuait. Il pensa d’abord à l’œuvre d’un renard. Son fils se mit avec chien et fusil à traquer le roux animal mais n’en trouva point. C’est alors que dut lui venir l’idée que le coupable pouvait être un animal de même couleur, mais plus massif, au poil moins touffu, un chien, par exemple… MON chien peut-être… Là commença un festival d’hypocrisie : lui avançant pas à pas, par allusions fines, moi me montrant d’une remarquable incapacité à les comprendre tandis que ma femme, plus directe, ignorait superbement « ce vieux con qui nous emmerdait avec ses saloperies de poules ».

Quand il retrouva une poule bien déplumée, il vint me montrer son dos à vif. J’exprimai un étonnement poli et mes interrogations quand à l’origine d’un tel phénomène, ajoutant qu’elle ne pouvait pas s’être fait ça toute seule. Il suggérai alors que ça devait être du à « quéqu’béte » sans plus préciser. Je me rangeais à son avis sans pour autant avancer une quelconque hypothèse sur la nature de l’animal…

Un jour il vint vers moi avec une poule aussi mouillée que morte.  Il m’annonça qu’elle s’était noyée dans la mare d’à côté, probablement après avoir été poursuivie par « quéqu’béte ». J’abondai dans son sens tout en feignant une totale ignorance quant au genre de bête qui aurait pu être à l’origine du drame…

Seulement, avec le temps, il ne resta plus beaucoup de poules. Le vieux sentait une sainte colère monter en lui. Un matin, ouvrant la porte, je trouvai sur le seuil un nouveau cadavre. Juste après j’entendis qu’on frappait. J’ouvris  à un Milien furieux auprès duquel je m’enquis de la raison de sa visite. « Y’a que y’a votre saloperie de chien qui m’a encore bouffé une poule ! V’là c’qu’y a ! » Devant tant de sincérité, je ne me démontai pas et lui répondis « M. B., je veux bien que ce soit mon chien, mais pourquoi l’avez-vous déposée à ma porte ? »  Surpris, il regarda à ses pieds et aperçut la volaille que j’avais jetée un peu de côté et que sa colère lui avait fait ignorer. « Nom de Dieu ! Y m’en a bouffé deux ! » s’exclama le bonhomme.

Le temps des explications était venu. Je lui proposai de l’indemniser du nombre de poules qu’il m’indiquerait. C’est alors que, toujours irrité, il me déclara que de telles poules, ça n’avait pas de prix. Contaminé par son animosité,  je lui  répliquai que dans ce cas, je ne voyais pas comment le payer, et lui souhaitai le bonjour avant de refermer ma porte.

Ce furent les dernières paroles échangées avant qu’un déménagement nous entraînât vers un environnement urbain.

*Les multiples ennuis qu'il nous causa justifieraient à eux seuls une série de chroniques !

samedi 4 octobre 2014

Les poules au père Milien



Dans le droit fil de mon billet d’hier, m’est revenu à l’esprit un autre exemple de cette franchise paysanne que j’y évoquais.

Alors que j’étais prof dans un collège rural en Indre-et-Loire, nous louâmes une petite maison au fils du père Milien qui, lors du partage de ses biens lui en avait légué deux qu’il avait retapées afin de les louer à un prix officiel ridicule auquel venait s’ajouter un substantiel supplément de la main  à la main. Milien, de son prénom complet Émilien, était un vieux grigou de quatre-vingt et quelques années qui, s’il n’avait fait son partage, aurait de loin été le plus riche du village où ses fils lui avaient succédé dans l’exploitation de la scierie familiale. Il courait sur le vieux des bruits bien malveillants : l’occupation n’aurait aucunement nui à sa prospérité, bien au contraire ; il aurait été en son temps gaillard une « fine lame » toujours prête à s’enfoncer dans toute femelle accueillante… Mais ce qui provoquait le rire des villageois, c’était sa pingrerie et les déboires qu’elle lui occasionnait parfois.

Ma jeune épouse et moi nous installâmes dans ce que nous croyions un douillet « chez nous ». Malheureusement, Milien avait tendance à continuer de s’y sentir chez lui, comme nous le constatâmes un jour qu’allant chercher des poires dans le jardin nous trouvâmes le poirier totalement dépouillé de ses fruits. Intrigué de cette étrange disparition, nous en avisâmes le vieillard qui nous déclara les avoir récoltées et nous invita dans sa munificence à ramasser celles qui, tombées au sol, n’étaient pas complètement pourries. De même il se servait en eau à notre robinet extérieur sans daigner nous en demander la permission. Son sens approximatif de la propriété l’amenait même à s’approprier l’avoine qu’un autre locataire, propriétaire de chevaux, entreposait dans un appentis adossé à son écurie  et cela dans le but louable d’en nourrir ses poules. L’éleveur s’en aperçut, et un jour qu’il venait soigner ses bêtes, il avisa la 2 CV camionnette du Milien sans que le bon vieux ne soit visible. C’est alors qu’il entendit du bruit dans sa réserve à grain. D’humeur farceuse, il repoussa le loquet extérieur et le bon Milien se trouva enfermé dans le lieu de ses rapines jusqu’à ce que ses cris alertent quelque passant qui l’en délivra. Le ridicule ne tue pas.

Or donc, Milien, ses ardeurs de jeunesse passées, s’intéressait toujours aux poules mais seulement à celles porteuses de plumes et productrices d’œufs dont il faisait commerce. Son goût pour ces volailles ne risquait pas de nous échapper, vu que la cabane en planche délabrée qui leur tenait lieu de poulailler se trouvait à quelques mètres de notre entrée. Nous avions planté des fleurs afin d’égayer les abords de la maison que ces gallinacées se mirent en devoir de détruire en grattant les plates-bandes pour y trouver pitance. Un rien agacé, je demandai à son propriétaire de fils de bien vouloir lui faire déplacer l’édicule, de m’indiquer quelles étaient les limites exactes de mon terrain et de me fournir les matériaux nécessaires à la clôture que je me chargerais d’installer. Mes requêtes furent acceptées ramenant la paix au hameau. Milien eut même la bonté de la réinstaller suffisamment près de notre clos  pour que nous continuions à jouir de sa vue.

Hélas en ce bas monde l’harmonie ne saurait durer. Son emploi à temps partiel ne l’occupant que peu, mon épouse s’ennuyait à regarder la pluie tombant sur la campagne. Naquit alors en son esprit le désir d’un compagnon à quatre pattes du genre canidé. Ne sachant rien lui refuser, je me mis en quête de l’animal convoité. Une collègue m’ayant dit que sa chienne boxer ayant, suite à une aventure avec lendemain en compagnie d’un berger allemand, récemment mis bas une portée de chiots, j’en fis part à mon épouse qui n’eut de cesse que nous en adoptions un. C’est ainsi que, venu le temps de son sevrage, ce bâtard molossoïde que nous baptisâmes Jock (du nom d’un ivrogne que nous connûmes en Écosse) entra dans notre vie et accessoirement dans celle des poules au Milien…

A suivre…

vendredi 3 octobre 2014

Parlons mouton



Mon voisin Raymond élève des agneaux. Ce n’est pas à proprement parler un agriculteur. En fait il fut, sa vie active durant chauffeur de camion. Routier serait un bien grand mot, vu qu’il devait limiter ses escapades aux alentours de Sourdeval. Histoire de lui faire voir un peu de pays, la République l’envoya maintenir l’ordre dans ses départements d’Algérie. Il en revint gravement blessé à la main, suite à une rencontre avec les rebelles. Dans un sens, il s’en était bien tiré : un de ses bons copains s'en était retourné avec pour perspective des économies de ressemelage mais un budget pneus accru. C’était le bon temps où on offrait à de jeunes gens qui n’étaient jamais sortis de leur canton ou de leur quartier l’occasion de s’ouvrir au monde, de rencontrer des personnages exotiques et dans le meilleur des cas de les descendre avant qu’ils ne vous tuent. Reverrons-nous un jour ces heureux temps ? Mais je m’égare…

De plus, Raymond n’est pas non plus vraiment mon voisin. Une vie d’épargne lui a permis d’acheter une maison et quelques prés en face de chez moi. Il loue la maison et élève brebis et agneaux dans les prés. Ça l’occupe, il y passe le plus clair de son temps et regagne son pavillon de Sourdeval avant midi et, sauf exception avant que sonne l’angélus. La saison venue, sa femme vient l’aider à récolter les pommes à cidre qu’il apporte ensuite à la coopérative dans la remorque que traîne son tracteur. Il fait aussi un peu de pisciculture. Tout ça n’est pas rentable. C’est du moins ce qu’il dit… Que saurait-il faire d’autre ? L’école ne fut jamais son fort surtout que, selon ses dires, l’institutrice de son village ne leur apprenait rien. C’était le bon temps où certains hussards et hussardes noirs campagnards trouvaient plus utile d’occuper leurs élèves à d’utiles tâches agricoles plutôt que d’encombrer leurs pauvres têtes de notions qui les dépassaient. Revivrons-nous ces temps bénis ? Mais je m’écarte du sujet…

Or donc, il y a quelques années, alors que nous parlions de choses et d’autres, à la manière matoise du paysan, Raymond s’enquit de mon goût pour la viande de mouton (il ne parle jamais d’agneau et son bélier est un blin, du vieux français belin*). Je l’assurai en être friand. Toujours plein d’à-propos, il s’enquit de savoir si, par hasard, je pourrais être éventuellement intéressé par l’achat d’un demi de ses pensionnaires au cas où par aventure exceptionnelle il se trouverait en disposer. Je souscrivis à son offre et quelques jours plus tard, suite à une coïncidence parfaitement fortuite, il m’annonça que je pouvais dès le lendemain venir chercher mon demi ovin. La tradition s’installa. Jusqu’à ce qu’il y a deux ans, alors qu’avec ma compagne nous venions de lui acheter un agneau entier, il me confia se faire vieux (soixante-treize ans !),  n’avoir plus tant de forces, bref que ce mouton serait le dernier… Je me résignai à m’en passer.

L’automne suivant arriva. Un jour, comme ça, histoire de causer un peu, il vint me voir et, incidemment, évoqua un sien problème : sa sœur lui ayant commandé un demi mouton, il se retrouvait avec l’autre moitié sur les bras (métaphoriquement, bien entendu, sinon il eût été inutile qu’il me le dît). Je faillis lui manifester mon étonnement quant à ce soudain revirement mais n’en fis rien et acceptai de le soulager de ce fardeau.

Vendredi  dernier, nouvel entretien autour de la remorque à mouton que traîne sa vieille 205**. Il tint à nous montrer ses passagers qu’il emmenait à l’abattoir de Saint-Hilaire. Il me vanta leur beauté, la qualité de leur abondante viande ni trop maigre ni trop grasse. Et puis une phrase entraînant l’autre il évoqua l’éventuelle possibilité que sa sœur acquière un demi-mouton, rien n’était moins certain, cependant au cas où cet improbable achat se concrétiserait, serais-je partant pour qu’il me cédât la moitié restante ? J’acceptai bien entendu. Et, ô surprise, hier, alors que je préparais du mélange pour mon taille-haie dans l’appentis, je vis arriver Raymond qui m’annonça que je pourrais venir chercher ma viande samedi matin.

Cette manière d’avancer en crabe, de présenter comme accidentel ce qui est planifié, m’amuse beaucoup. Je le vois venir de loin, avec ses gros sabots. C’est une manière commune de procéder chez les paysans. Rien n’est jamais clair ni net avec eux : ils ne vendent pas, ils cèdent, c’est un service qu’ils vous rendent, avec ce soupçon de regret qu’on ressent à se défaire d’un bien précieux. Le paiement n’est jamais un problème : on a bien le temps, on n’attend pas après, on est entre gens de bien… Je paye bois comme viande le jour même, en espèces, bien sûr, conscient que je suis que le moindre retard amènerait la ruine de ma bonne renommée. Il faut le savoir quand on est horsain sinon on court à la déconvenue.

Je me demande d’ailleurs quelle tête ferait Raymond si un jour je lui annonçais être devenu allergique au mouton ou, pire, insolvable…

*Nom porté par le mouton du Roman de Renart
**Il possède un beau véhicule récent, mais ça c’est pour d’éventuelles sorties dominicales…