Les phobies constituent un ensemble de maladies mentales très à la
mode. En fait, s’il est peu de gens pour déclarer en souffrir, légions sont
ceux qui en accusent autrui. Pour être taxé d’homophobie, de xénophobie ou de
gauchophobie, un simple manque d’enthousiasme
face aux homosexuels, aux étrangers ou à M. Hollande suffit. Ce qui tend à
banaliser nos bonnes vieilles phobies et à les vider de leur substance. Car la
phobie est, selon Bobby*, une « crainte
excessive, maladive et irraisonnée de certains objets, actes, situations, ou
idées » Etant moi-même affecté
de cette curieuse phobie nommée vertige je sais de quoi je parle. Quand vous
vous êtes trouvé, paralysé de peur, en train de bloquer un escalier de fer à Rocamadour tandis que des dizaines de
personnes vous agonisent d’injures parce que votre incapacité de bouger les
boque aux degrés inférieurs, ou quand
vous êtes resté cramponné plusieurs minutes, tremblant, à la rambarde du
chemin qui fait le tour du toit de la cathédrale de Chartres sous l’œil médusé
de votre fille qui se demande ce qui peut bien vous arriver, vous êtes en
mesure de faire le tri entre vraies phobies et phobies supposées.
Ce blog devient au fil du temps un blog scientifique dont
les domaines de prédilection sont l’entomologie (piérides), la géographie et la
médecine. Fidèle à cette volonté de vulgarisation, je vais donc traiter aujourd’hui de cette maladie plutôt rare et insidieuse qu’est
la préfectophobie.
Il est essentiel de préciser d’emblée que la préfectophobie ne
saurait se confondre avec la casquetteàfeuilledechênophobie. Elle n’est qu’un
cas particulier de cette dernière phobie qui déclenche chez qui en est affecté un
sentiment de panique irraisonnée en présence de tout officier général, préfet
ou commissaire de police en grand uniforme. Le préfectophobe ne s’affole qu’en
présence d’un préfet ou, dans les cas les plus graves, d’un simple sous-préfet.
Cette maladie affecte plus de gens qu’on ne croit.
Seulement, on peut en souffrir sans le savoir, surtout lorsqu’on évite les
inaugurations, vernissages et autres raouts ou qu’on omet, allez savoir
pourquoi, de vous y inviter. Ainsi la
plupart des préfectophobes quittent-ils cette vallée de larmes sans qu’aucune
crise ne les ait affectés. Seulement, il
est important de savoir si on en est ou non atteint. Car nul n’est jamais
totalement à l’abri d’une rencontre fortuite ou officielle avec ce type de haut
fonctionnaire. Vos efforts en faveur de la sauvegarde du Niktamère à crête
mauve-burne, la valeur de vos écrits (listes de courses, pense-bêtes,
commentaires sur « Vu des collines »
etc.) peuvent vous valoir de la part de
la république ce merveilleux acte de reconnaissance qu’est une décoration
(Légion d’honneur, Mérité agricole, ordre des Arts et Lettres ou plus rarement
décoration de la chambre du petit dernier). Imaginez donc que vos mérites soient ainsi
reconnus et que, pour donner plus de relief
à la cérémonie, le préfet y soit convié ou même chargé d’épingler sur votre
poitrine les insignes de votre distinction. Imaginez également que vous soyez sans le savoir l’innocente
victime de cette affreuse phobie. Que se passera-t-il ? Au lieu de
recevoir avec calme et dignité tandis que vos yeux s’embrument l’accolade du
fonctionnaire vous pâlirez, serez saisi d’un irrépressible tremblement, de l’écume
apparaîtra aux commissures de vos lèvres avant que d’une voix rendue suraigüe par
la terreur vous vous mettiez à hurler « Là !
Là ! Un préfet ! Un gros préfeeeeet ! »;des
gardes du corps vous ceintureront et vous évacueront vers l’hôpital psychiatrique
le plus proche, ce qui devait être votre jour de gloire se transformant ainsi, pour
vous comme pour votre entourage, en un jour de honteuse humiliation.
Comment éviter cela ? Eh bien en vérifiant de manière
préventive que vous n’êtes pas atteint de cette redoutable phobie. Pour cela,
procurez vous l’agenda du Préfet de votre département (quitte à arroser quelque
fonctionnaire corrompu : on n’a rien sans rien). Accompagné de plusieurs
robustes compagnons aptes à vous maîtriser et à vous évacuer en cas de
crise, rendez vous à une quelconque
cérémonie qu’il honorera de sa présence. Si sa seule vue vous laisse de
marbre, n’en restez pas là. Car il se
peut que la crise ne se déclenche que suite à un contact physique. Toujours encadré de vos accompagnateurs, approchez vous du
préfet, et d’un air confiant serrez lui
la main en lui disant : « Alors, Lucien (vous vous êtes renseigné sur
son prénom), ça boume ? Toujours dans la préfectorale à ce que je vois !
On peut pas dire que t’aies maigri, ajouterez-vous en lui tapant sur le ventre ».
Si rien ne se passe, passez au test ultime : la bise que vous pratiquerez
après avoir lancé un joyeux « Ah, j’suis tellement content de te r’voir
que j’vais t’embrasser ». Si vous ne ressentez suite à la virile accolade,
aucun symptôme, c’est que vous êtes exempt de toute préfectophobie. Vous pouvez
donc attendre votre croix en toute quiétude. Dans le cas contraire, exigez qu’aucun
préfet ne soit convié à votre cérémonie et continuez de vous procurer l’agenda de
votre préfet afin d’éviter toute rencontre fortuite.
*C’est ainsi qu’une longue fréquentation du Petit
Robert m’a amené à le surnommer affectueusement.