Il y a des gens dont la vie est fascinante. A peine ont-ils
fini de grimper une beauté qu’ils passent à l’Everest (sans équipement spécial).
Ils en redescendent (de l’Everest) pour conquérir un continent, armés d’un simple lance-pierre et,
ce faisant, sauvent le monde et la civilisation avant de battre quelques records
du monde d’athlétisme et de sauver le PS d’une déroute électorale annoncée (et
ça, c’est pas de tarte !). Prix Nobel de littérature et de physique, leurs
travaux de macramé éblouissent les
foules et leurs chansons ravissent la terre entière. Certains savent même poser
du placo et planter un clou. Ils sont beaux, forts, grands, intelligents,
malins, habiles, lettrés, courageux et tout. Ce sont des héros.
Et puis il y a les autres. La grande masse (hélas ?). Ceux qui, si la cruauté les prenait, ne
sauraient casser que deux pattes à un canard, et qui n’ont pas plus inventé le
fil à couper le beurre que l’eau tiède. Ils vivent obscurément et c’est tant
mieux. Si jamais leurs vies se trouvaient
exposées au public, elles ne susciteraient que son ennui. Ils mènent des existences ordinaires, dans des villes sans charme auprès
de compagnes éteintes et d’enfants criards. Leurs amis, ou plutôt les quelques vagues
relations qui leur en tiennent lieu, sont d’une banalité désolante. Ils sont ouvriers,
employés, cadres dirigeants de multinationales, présidents de la république (plus
rarement)… Ça les occupe.
Vient la mort. Pour les héros comme pour les autres. A la
gloire des premiers, on érige des statues sur les places. Sur la tombe des
autres on pose de jolies plaques de marbre où en lettres de bronze leurs
proches expriment d’éternels regrets. Le temps passe. Personne ne se souvient plus
ni des uns ni des autres…
Et c’est justice. Car l’admiré comme l’obscur n’ont fait qu’une
chose : passer le temps comme ils pouvaient, chacun à sa manière.