Je me refuse à me laisser séduire par les sirènes du
« on est foutus ». Pardon cher Nouratin ! Je continue de croire qu’un sursaut est
possible, qu’il n’est pas fatal que plus de deux millénaires de civilisation se
trouvent à jamais effacés. Peut-être, et je n’en suis pas certain, vivons-nous
une période obscure mais des moments difficiles, et bien plus, n’en avons-nous
pas connus tant et tant au fil des siècles de notre histoire ?
La culture gréco-romaine a connu une longue éclipse avant de
renaître parce qu’en d’autres lieux la flamme en avait été gardée. Pourquoi les
splendides édifices que nous avons montés sur ces fondations disparaîtraient-ils
à jamais ?
Bien sûr, tout n’est plus comme au temps du bon Charlemagne.
Nos trouvères du douzième siècle s’en plaignaient déjà. Bien sûr rien n’est
plus comme du temps de notre jeunesse fantasmée, cet âge d’or où les filles
étaient moins farouches, les marches moins hautes, les printemps plus fleuris,
les automnes moins pluvieux, les étés chauds, les hivers enneigés, le général
De Gaulle encore là et le communisme gaillard. Il y a même aujourd’hui des
jeunes pour regretter ces temps qu’ils n’ont pas connu. C’est dire…
N’empêche que notre époque a ses avantages, dont le moindre
n’est pas l’absence de guerres*. J’apprécie entre autres son confort, ses
facilités de communication, de transport, d’accès à l’information et à la
culture. On m’objectera qu’au lieu de se ruer sur ces dernières, beaucoup
préfèrent des occupations futiles. Comme
si depuis toujours le goût de se cultiver n’avait pas été le fait d’une infime
minorité… Les masses ont d’autres choses bien plus urgentes à faire comme aller
à la pêche, boire des canons, jouer aux cartes, regarder Plus belle la vie, sauter la voisine (ou le voisin, soyons moderne !),
gagner des ronds pour se payer des objets inutiles ou des voyages en terres
exotiques. Seule une élite a de tout temps porté et nourri la culture.
On peut pleurer sur le succès présent des gougnafiers de
tous ordres. On peut aussi s’en réjouir : belle époque que celle qui est
riche au point de nourrir tant de gens sans talent aucun et de leur offrir un
instant de gloire avant qu’ils ne disparaissent à jamais. Libre à nous de ne
pas écouter leurs bruissements fugaces. Le temps élimine les scories et retient
les pépites. Combien de gloires anciennes sont tellement passées que plus
personne ne s’en souvient ?
La situation n’est pas désespérée. Elle ne le deviendra que
si ceux qui rejettent le plus vivement les errances contemporaines baissent les
bras, laissant le champ libre aux démolisseurs. Lesquels ne pourront toutefois
tout détruire et ne connaîtront qu’un succès passager. De catastrophes en
renaissances, ainsi va l’histoire…
*Au moins chez nous. A ceux à qui elles manqueraient, ce ne
sont pas les causes à rallier qui manquent en notre vaste monde…