L’avantage, avec les voyages en Absurdie, c’est qu’ils n’exigent
aucun passeport et aucun déplacement. En fait, comme une sorte de double peau,
l’Absurdie recouvre avec exactitude le territoire de ce qui fut la France. J’en
ai eu une nouvelle preuve ce matin.
Depuis jeudi, j’étais privé de téléphone fixe (la privation
de portable étant ancienne et permanente, faute de réseau). Pas de tonalité, rien qu’une
affreuse friture. Le problème s’était déjà posé il y a quelques années, en
moins grave toutefois vu que la friture rendait simplement toute conversation quasi-inaudible.
Le monsieur de France Télécom était venu et avait changé la partie du câble
endommagée. Pourquoi pas le câble en entier ? Eh bien parce que pour ce
faire il lui eût fallu percer un trou en haut de ma porte d’entrée, ce que sa
déontologie ou sa non-habilitation en tant que perceur de haut de porte en bois
(la porte était alors en bois) lui interdisait formellement. Il était plus que
probable que le restant du câble, tout aussi vieux finirait par se montrer à
son tour défaillant mais, que voulez-vous, quand on ne peut pas, on ne peut
pas.
Ce matin donc, je vis arriver un beau camion tout neuf doté
d’une jolie nacelle piloté par le technicien censé savoir dûment accompagné de
son arpète. A part à regarder son chef travailler, je n’ai pas bien saisi à
quoi servait l’arpète. Il faut croire que parcourir les collines embrumées
provoque une neurasthénie que seule la compagnie d’un homme jeune et gaillard
peut tempérer…
Aux commandes de la nacelle le brave technicien commença par
vérifier que jusqu’au poteau d’où partait le câble menant à la maison la ligne
fonctionnait. C’était le cas. C’est là
que les choses se compliquèrent car il m’avoua ne pas pouvoir vérifier la ligne
plus avant, n’étant pas en possession d’une échelle et son camion ne pouvant s’aventurer
sur la pelouse. « Qu’à cela ne tienne, lui dis-je, innocent que j’étais, j’en
ai une d’échelle ! Une échelle de toute beauté, une échelle comme je
souhaite à tous d’en avoir ! » Que
n’avais-je pas dit là. L’homme me jeta ce regard apitoyé que réserve l’initié à
l’ignorant. « Je ne peux pas monter sur VOTRE échelle, au cas où surviendrait un
accident, je ne serais pas couvert ! » Je ne pus me retenir de lui
signaler à quel point ce règlement était absurde. Il n’alla pas jusqu’à en
convenir, arguant de questions de sécurité. Il faudrait, pour inspecter le
reste faire venir une autre équipe munie d’une Échelle appropriée.
Toutefois, doté d’un escabeau, il consentit à inspecter le
boitier d’arrivée intérieur. Ce test permit d’établir un diagnostic définitif :
c’était bien mon câble qui était fautif. Je m’en doutais déjà un peu. Il me dit
qu’il m’enverrait une autre équipe le
surlendemain, possesseur de la Sainte-Échelle et apte à remplacer (à mes frais)
le Saint-Câble mais qu’il serait bon que je perçasse moi-même un trou à l’endroit
où je désirais faire entrer les fils et que ce trou fût suivi d’une gaine
menant à l’endroit où je désirais qu’il installât l’arrivée. Les écumeurs de
collines partis, je grimpai sur mon échelle afin de bien voir où percer mon
trou et c’est là que j’avisai le raccord entre le morceau de câble remplacé et
l’ancien. Et si c’était là l’origine du problème ? J’allai inspecter la
jonction et m’aperçus immédiatement qu’à la sortie du boitier, une section du
câble était complètement pourrie. Il me fallut une petite heure pour remplacer
le morceau défaillant et retrouver le parfait usage de ma ligne. Je décommandai
donc par téléphone la seconde équipe, exigeant, on n’est jamais trop prudent,
qu’on me confirmât par mail l’annulation de l’intervention.
De cette captivante aventure, j’ai tiré quelques leçons :
1) Il existe parmi les réparateurs de lignes plusieurs
catégories : le technicien AVEC échelle (mais sans nacelle) et le technicien
(avec nacelle mais) SANS échelle. La
catégorie AVEC nacelle ET échelle existe-t-elle ? Ne rêvons pas trop. Il serait donc utile, lors du dépôt d’une
réclamation de préciser quel genre d’intervenant l’on souhaite.
2) On peut supposer qu’au sein de la catégorie AVEC échelle,
existent les sous-classes avec et sans
chignoles lesquels se subdivisent en aptes à percer ou non tel ou tel
matériau. Reste à savoir si le perceur agréé à les capacités d’utiliser les
autres outils qui s’avéreraient nécessaire et de poser des gaines.
3) Vu la complexité des précautions requises j’ai pris la sage
décision, la prochaine fois que le problème se posera de changer moi-même la totalité
du câble. Car payer le déplacement et les heures de deux gars qui viennent de
plus de cinquante kilomètres pour me dire qu’ils ne sont pas en mesure d’intervenir
et qu’un jour d’autres viendront me paraît abusif. Ou du moins le serait ailleurs
qu’en Absurdie.