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lundi 7 octobre 2013

Qui fut vraiment Saint Marcelin ? (fin)



Le premier miracle de Saint Marcelin me fut inspiré par un des intervenants du forum sur lequel les chroniques furent d'abord publiées. Gauchiste fervent, il fustigeait le néo-libéralisme avec une constance et une  violence qui n'avaient d'égales que l'indifférence et les sarcasmes que ses interminables copiés/collés suscitaient.

Tout ça est bel et bon, me direz-vous, mais en quoi Marcelin était-il un saint ?

Sans parti pris, émanciper ses serfs, leur offrir des conditions de vie décentes, favoriser le développement économique d’un petit coin de France, c’est déjà pas mal. Si tous les saints du calendrier en avaient fait autant, on n’en serait pas là.

Durant leur longue vie de passion, la coquine Guenièvre et le robuste Marcelin s’envoyèrent si souvent en l’air qu’on pouvait considérer à juste titre que le (septième) ciel était leur résidence secondaire. De là à y prendre leur retraite, il n’y avait qu’un pas… 

Et puis il y eut les miracles…

Un peu avant l’an Mil, alors qu’il prenait en compagnie d’une Guenièvre plus dodue mais toujours aussi souple et inventive le proverbial « café du pauvre », on amena au vigoureux septuagénaire un bien curieux personnage
.
Depuis quelques années, en proie à une folie millénariste, hirsutes, le regard perdu, quelques prêcheurs fous parcouraient les campagnes, annonçant une prochaine apocalypse. Leurs discours enflammés appelant à la repentance faisaient plutôt sourire qu’ils n’effrayaient. On ne les écoutait pas beaucoup plus qu’on n’écoute aujourd’hui José, Olivier ou Arlette… Mais le personnage qu’on amena ligoté et bâillonné au Sire de la Riche-Motte était plus inquiétant.

Jehan-Michel d’Amiens, comme il aimait qu’on le nommât, jadis apprenti clerc, avait jeté le froc aux orties avant de terminer ses études. Les bribes de savoir mal digérées qui se bousculaient dans son esprit affaibli par les constantes courses qu’il s’imposait en pénitence l’avaient amené à « identifier » l’ennemi. Selon lui, ce n’étaient pas les quatre cavaliers, ni les armées de Gog et Magog qui allaient ravager la chrétienté. Comparés à la vraie menace, ces derniers paraissaient bénins. Ce nouveau Léviathan avait pour nom « Néo-féodalisme » ! Il détruirait tout avant de se détruire ! Ainsi divaguait l’Amiénois par monts et par vaux, invectivant les rieurs au passage.

Depuis quelque temps, il s’était installé dans ce qui restait de la Forêt de Chaude-Touffe. Il s’y livrait à un curieux manège. Dans sa vieille bible, il cherchait les passages qui lui semblaient en rapport avec « Néo ». Il les copiait ensuite sur des parchemins regrattés (ou palimpsestes) qu’il se procurait Dieu sait comment. Ensuite il courait les coller sur la colonne du carrefour de Vains-Escrits où traditionnellement s’affichaient les nouvelles intéressant la communauté.

Au début, certains les lurent, puis, vu leur manque d’intérêt, on les recouvrit sans s’en donner la peine.Le pauvre garçon, pour toute réponse multiplia ses copies et ses collages au point qu’il arriva que des avis importants en fussent masqués. Dès lors on pria le faux ermite de s’abstenir de tant coller. Il prit la chose très mal, traitant ses détracteurs d’injures bizarres, de lui seul connues… Les choses empirèrent, il se fit violent, on dut intervenir. 

Quatre hommes maîtrisèrent à peine le forcené qu’on amena au seigneur. Quand on lui ôta son bâillon, sur ordre de Marcelin, mêlé à un flot de bave jaune-verdâtre, sortit de sa bouche un discours inarticulé autant que véhément où semblait revenir sans cesse les syllabes « Né-o » tandis que tel un vers coupé il s’agitait dans ses entraves.
 
Le seigneur ordonna qu’on les laissât seuls. Nul ne sait ce qu’il se passa. Mais les quatre hommes qui se tenaient prêts à intervenir derrière la porte virent bientôt ressortir un Jehan-Michel apaisé qui prit congé de son hôte en le remerciant. Dès le lendemain il s’installa dans une maison. Son lopin défriché, il prit femme, fonda une belle famille et vécut le reste de son temps en personne honorable.

De tels miracles ne s’expliquent. Marcelin se vit attribuer la qualité de thaumaturge et ça marcha.

Rendre la parole aux muets, redresser les bossus, faire marcher les paralytiques, dénouer les aiguillettes, guérir la lèpre, la galle, les chancres divers, la danse de Saint-Guy devint routine. De tout le pays et d’ailleurs on accourait vers Marcelin en dehors des heures de la sieste où il recevait la seule Dame Guenièvre, quelques heures quand la nuit avait été folle, plus longuement en cas de nuit plus sage… 

Mais le plus étonnant des miracles fut lorsqu’il changea l’eau de la fontaine en bouillette. D’autant plus étonnant qu’à l’époque personne n’avait jamais entendu parler de bouillette.
Ce qui surprit d’abord Paul le bouvier fut la démarche de son chien. Celui-ci semblait tituber. Il allait signaler ce fait étrange à sa belle mère qui l’avait amené avec elle à la fontaine, lorsque cette dernière, le prenant dans ses bras, l’embrassa comme du bon pain en lui disant qu’elle l’aimait et que s’il n’y avait pas eu sa fille… Paul fut étonné. Jusqu’ici, la vieille bique ne lui avait donné que peu de signes d’affection. A moins que « bon à rien » et « feignant » n’eussent été des formes codées du discours amoureux. D’autre part elle empestait l’alcool. Ce qui était singulier. A 10 heures du matin ! D’ordinaire, la vioque était rarement schlass avant 14 heures !
Après s’être enquis de ce qui avait pu mettre belle maman dans un état si jovial et s’être vu répondre qu’elle s’était rafraîchie à l’eau de la fontaine, désespérant de tirer un mot sensé de la pocharde, Paul lui prit des mains la cruche quelle rapportait. Il y but une rasade. Puis une autre. Il y avait quelque chose dans cette eau… Quelque chose de fort et doux à la fois… Et pas cette insipidité ordinaire qui pousse le sage à éviter ce breuvage. Il sentit une joie mêlée de désir monter en lui. Très vite il courut vers la fontaine vérifier que l’eau qui en coulait était la même. Et c’était le cas. Afin d’en être certain, il la goûta de nouveau. Pas de doute possible. Il ameuta la population qui accourut…

Des jours durant les moins flageolants se relayèrent pour aller quérir le précieux liquide à la fontaine. La communauté résonnait de cris orgasmiques car la bouillette a pour triple avantage de bien saouler, de rendre amoureux et de n'entraîner aucune gueule de bois…

C’est ainsi que commença ce qui reste dans les mémoires comme la Grande Cuite de 1007 et dont nous devrions arroser le millénaire prochainement*. Marcelin avait voulu, pour célébrer ses 80 ans, offrir ce petit plaisir au village. Attention touchante. Et appréciée.

Mais toute chose a une fin. Au bout de deux semaines de libations, l’eau se remit à couler. On retourna au travail. Certains consacrèrent beaucoup de leur temps à essayer de retrouver la formule du merveilleux breuvage. Malheureusement, la bouillette de synthèse ne s’approcha jamais de la bouillette miraculeuse. Encore aujourd’hui quand de son alambic clandestin un vieux distillateur parvient à sortir un nectar d’exception, il est de tradition de lui dire qu’ « on dirait de la 1007 ». Bien sûr, l’intéressé sait qu’on lui ment, mais aussi que le compliment est sincère…

Marcelin et Guenièvre moururent passé cent ans. Un jour, leur sieste s’éternisa. Leurs enfants, petits enfants, arrières petits enfants, arrière arrière petits enfants, serviteurs et candidats aux diverses guérisons, s’attroupèrent devant la porte de leur chambre à mesure que s'écoulait le temps. Deux jours passèrent. Ne sortait de la chambre que de faibles gémissements extasiés. On retint son souffle. Thibault Forte-Tige, leur fils aîné, finit par conclure que quelque chose d’anormal se passait. Les gémissements étaient plus faibles que ceux qu’émettaient d’ordinaire ses parents lors de leurs entretiens. Il finit par ordonner qu’on enfonçât la porte.

On trouva les deux vieillards couchés sur le dos, l’un près de l’autre, se tenant la main. Leurs yeux grand ouverts exprimaient une félicité surnaturelle. Leurs poitrines se soulevaient rythmiquement en exhalant de faibles cris d’extase. On en conclut que suite à un orgasme particulièrement carabiné, les deux braves vieux étaient restés scotchés. On décida de les veiller. Leur « agonie » dura dix jours. Enfin, le dernier soir venu, serrant la main de sa compagne, Marcelin prononça ses dernier mots : « Viens, Guenièvre, on va continuer ça là-haut » à quoi sa Dame répondit : « J’arrive, Marcelin! ».

Ainsi mourut Saint Marcelin.

*Eh oui, ce texte fut écrit il y a six ans au moins. Comme le temps passe !


L’histoire de sa « canonisation » fera l’objet d’une prochaine chronique.

8 commentaires:

  1. La grande cuite de 1007! On l'a commémorée, en effet, en 2007 avec
    la grande cuite du Fouquet's qui restera dans les mémoires comme un
    des plus hauts fait de Saint Nicolas le Petit...mais question miracle, ça ne valait pas Marcelin.
    Amitiés.

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    1. Je ne vous suis pas là, cher Nouratin. Je n'ai jamais bien saisi ce que ce passage au Fouquet's pouvait avoir de scandaleux.

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  2. Point d'exclamation...7 octobre 2013 à 19:08

    Misère ! Deux commentaires ! Deux bonnes âmes ! Merci à eux !

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  3. "Non, non, non, non, Marcelin n'est pas mort
    Car il bande encore ...."
    Pourquoi ce qui appartient à Marcelin a-t-il été attribué à Saint Eloi?
    Mystère de l'hagiographie!

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    1. Cher Pangloss, en tant qu'hagiographe, je puis vous dire que rédiger une vie de saint n'est pas de la tarte. Il faut savoir preuve d'indulgence envers de menues erreurs...

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