Nouratin m’ayant
demandé à l’unanimité de développer mon passage du « gauchisme » à la
« réaction », je m’exécute.
Mon glissement progressif vers la droite ne s’est pas fait
en un jour. Venant d’un milieu conservateur hyper catholique, la période de l’adolescence
fut celle de la révolte contre un environnement et surtout une famille ressentis comme étouffants. Si on ajoute à cela que j’eus 18 ans
en 1968, que nos chers professeurs au lycée ressemblaient davantage à des
agents de propagande du Kominterm qu’à des enseignants soucieux d’objectivité et que
le gauchisme était à la mode, j’abordai
l’âge adulte avec dans ma boite à outils, tout ce qu’il fallait pour faire un
bon gauchiste. Sans compter qu’un peu par hasard je devins alors instituteur
remplaçant.
Un séjour d’un an et demi au Sénégal, s’il calma mes ardeurs
tiers-mondistes, me laissa cependant de gauche. Je fus même délégué syndical
jeune et j’entrai au PS attiré par son aile gauche alors incarnée par M. Chevènement et ses jeunes camarades du
CERES. Une autre raison qui me fit adhérer fut mon anticommunisme viscéral. Je
m’étais aperçu lors de la campagne des législatives de 1973 que les colleurs d’affiches
en compagnie desquels je salopais la ville de Dreux étaient tous communistes et
que les militants socialistes ne couraient pas les rues, pas plus de jour que
de nuit. Il me semblait utile de compenser, en vue d’une victoire de la gauche,
le poids d’un PC qui la dominait alors.
Cette expérience de militant qui ne dura qu’un an ne me
laissa pas de souvenirs marquants, si ce n’est celui de l’ennui profond que faisaient naître en
moi les rivalités de tendances qui animaient les réunions de section. Si c’était
ça l’activité militante, autant se mettre au macramé…
Je partis pour Londres où les problèmes de logement déjà contés
ici réveillèrent mon ardeur militante. C’est lorsque je suivis les cours du
centre de formation des professeurs de collège de Tours que je commençai à
déchanter. En effet, au cours de la deuxième année, un « mouvement social »
agita notre petit monde. Je commençai par y prendre une part active jusqu’à ce
que je me rende compte que plus que l’intérêt
général proclamé (meilleure formation pour nous, justice sociale pour tous,
bonheur de l’humanité, etc.) ce qui motivait principalement mes camarades était
la peur d’échouer au concours et le désir corporatiste d’obtenir un maximum d’avantages
contre un minimum d’efforts. Cela me
déçut gravement. Pour moi, la gauche, c’était un désir naïf d’égalité et de
bonheur universels et non la satisfaction de revendications catégorielles. Ne
me sentant aucunement concerné par la possibilité d’un échec, je commençai à
prendre mes distances vis-à-vis du syndicat.
Il n’y a que le premier pas qui coûte. Les autres suivirent. En fait, je m’aperçus qu’en dehors de l’accomplissement
de mes rêves fumeux d’une société « juste » et « humaine »
je n’avais jamais rien attendu de la gauche.
Si j’avais besoin de davantage d’argent, je ne l’attendais pas de la
satisfaction de revendications salariales, je me mettais simplement en quête d’une
source supplémentaire de revenus. N’étant pas regardant sur le type de travail,
je connus les joies du travail en usine, de la peinture de serres et de tas d’autres
petits boulots (facteur, barman, moniteur, entre autres). « Travailler
plus pour gagner plus » a toujours été ma devise. En cela, j’étais comme me le
reprochait mon meilleur ami de jeunesse (communiste pur et dur) un
individualiste. Ce qui est très mal.
Mes études terminées, j’exerçai dans un petit collège rural
où collègues et direction jouaient à
plus à gauche que moi tu meurs. N’étant ni taciturne ni hypocrite, mes opinions
comme mon goût de la discipline n’eurent pas l’heur de plaire à ma directrice
qui, sans pour autant m’attaquer de front, faisait montre à mon égard d’une
froideur un rien réprobatrice. C’était heureusement réciproque. Ne me sentant
rien de commun avec ce milieu je le quittai pour m’adonner aux joies du
commerce alors que M. Mitterrand commençait à mon grand dam à présider au
destin du pays. J’ai déjà raconté cet épisode de ma vie.
Je tirai beaucoup d’enseignements de cette expérience. Ils ne me ramenèrent aucunement dans le giron de la
gauche, bien au contraire. Taxer de manière confiscatoire le fruit d’un travail
acharné ne me parut pas juste. Constater qu’en ce beau pays de France, n’importe
quel traîne savates venu du bout du monde a plus de droits sociaux qu’un
ex-commerçant qui a des années durant craché au bassinet me conforta dans mon refus total
de la soi-disant générosité socialiste.
Au bout du compte, si je me suis pensé de gauche de dix-huit
à vingt-cinq ans, je crois que c’était une erreur de jeunesse. On découvre le monde, on vous le décrit « injuste »,
il vous vient des aspirations généreuses. Quoi de plus banal ? Seulement, avec
le temps, pour continuer de chérir ces
idéaux à mesure qu’on avance dans la vie, il faut être soit bougrement
hypocrite soit doté du tempérament idoine. J’entends par là qu’il faut aimer le collectif,
la stabilité, la vie sans à coups, une « égalité »
théorique ainsi qu’un nivellement intellectuel effectif. Ce n’a jamais été mon cas. J’y ai toujours
préféré l’initiative et l’effort individuels, la mobilité, le changement, les inégalités
ne me dérangent pas. Et tout ça, c’est réac
en diable.