Il faisait un peu sombre quand je suis arrivé. Les manèges
installés sur la place m’avaient empêché de me garer en face de chez moi. J’arrivai donc à pied,
mon sac de voyage à la main. Je notai quelques morceaux d’ardoise sur le
trottoir mais n’y prêtai que peu d’attention. Ce qui me turlupina, c’est que
les volets du rez-de-chaussée étaient fermés. Je me dis qu’en ce jour de foire
un imbécile avait peut-être cassé un carreau et que mon fidèle plombier, qui
avait la clé, avait pris la sage
décision de les clore. J’ouvris la porte du couloir et ne notai rien de spécial. La surprise fut
donc totale quand, la porte du salon ouverte, une odeur âcre m’assaillit les
narines tandis que je découvrais un tas de gravats au sol provenant d’un large
trou au plafond. Des flaques d’eau
aussi, sur le parquet devenu inégal. Pas
besoin d’un dessin : il y avait eu incendie.
Un pompier resté dans le secteur pour s’assurer que tout
était fini vint vite me rejoindre armé d’une lampe torche. Nous montâmes à l’étage.
Dans la chambre, devenue d’un noir
soutenu, plus de lit mais à sa place un trou béant. Sur la commode disjointe le
téléviseur avait fondu se transformant en une sorte d’œuvre d’art façon montres
molles. Dans la salle d’eau la cabine de douche s’était effondrée sur
elle-même. Tout était comme peint en noir.
Nous redescendîmes. Le voisin m’invita à entrer. Il m’expliqua ce qui s’était passé.
Dimanche matin, un forain voyant de la fumée s’échapper du toit avait alerté
les pompiers du village. Craignant une explosion, ceux-ci firent appel à leurs
collègues de Châteaudun. Plusieurs dizaines d’entre eux intervinrent. On boucla
le quartier. On évacua la foule des manèges et de la brocante qui se tenaient
sur la place. Mécontents d’être privés de manèges, de bonnes affaires et du
spectacle toujours appréciable d’un bel incendie, certains s’en prirent aux
forces de l’ordre qui les en tenaient éloignés. Une brève échauffourée s’en suivit. On pouvait dire que
j’avais provoqué un beau bordel !
Comment cela s’était-il produit ? Plus de trois ans
plus tard, je suis encore incapable de le dire. Le vendredi matin, j’avais
comme d’habitude préparé mon sac avant de partir pour le collège. Cela me permettait de quitter le travail pour la Normandie où je
passais mes week-ends sans avoir à
repasser. Si, comme le conclut l’expert,
cet incendie était dû à un mégot mal éteint, le feu avait donc couvé plus de deux jours. Visiblement, c’est la combustion lente du
matelas en Bultex qui avait tout noirci, tandis que les gaz qui firent craindre
l’explosion aux pompiers s’accumulaient.
Pour leur permettre de s’échapper, les soldats du feu avaient pratiqué une brèche
dans le toit. Ainsi s’expliquaient les fragments d’ardoise.
De chez le voisin, j’appelai l’assistance de mon assurance
qui prit en charge l’hôtel où je dormirais. Ensuite, j’annonçai la nouvelle à
ma compagne et à ma fille.
Je vous passerai les détails de ce qui suivit. L’expert,
brave homme très sympathique, évalua les dégâts à quarante et quelques milliers
d’Euros. Je passai huit jours à l’hôtel où ma compagne était venue me rejoindre
avant de trouver un appartement à Châteaudun. Tout ça aux frais de l’assurance.
De plus, ma maison étant en vente et les travaux devant durer plusieurs mois,
je me vis contraint de repousser d’un an mon départ en retraite. La maison serait remise à neuf, mais était-ce
bien nécessaire vu que je venais de finir de la rénover ?
Finalement, tout s’arrangea : La banque, vues les
circonstances, renouvela mon crédit
relais, la salle d’eau, agrandie et équipée de neuf, fit flasher une acheteuse, je vendis la maison
et finis par partir en retraite le cœur léger.
N’empêche que, allez savoir pourquoi, il m’est devenu impossible
de quitter ma maison ne serait-ce que
pour quelques jours, sans qu’une angoisse intense ne m’envahisse.