Hier, j’ai jeté sur le bord de la route la vingt-quatrième
dépouille de campagnol de la saison de chasse commencée voici
à peine un mois. Curieusement, j’ai
trouvé cette dernière victime non pas prise au piège mais à côté d’un piège qu’elle
avait fait tomber d’une étagère, sans blessure apparente. Comment expliquer ce décès ? Plutôt que
de jeter le petit cadavre aurais-je du faire pratiquer une autopsie ? Aurait-il
succombé à une crise cardiaque suite à l’émotion provoquée par le déclenchement du piège ? Serait-il mort de vieillesse ou de faim alors
qu’il s’apprêtait à se repaître du fromage accroché à la tapette ? Autant
de question qui resteront à jamais sans réponse.
Quoi qu’il en soit, depuis mon retour de vacances, c’est le
deuxième fait troublant que je constate en matière campagnolesque. Le matin,
quand j’y pense, je fais le tour des pièges afin de voir si ceux-ci ont joué leur rôle. Or
donc, que vis-je lors d’une de ces tournées ? Tout près d’un piège
déclenché, j’aperçus un de ces petits monstres rongeurs. De ses yeux en
boutons de bottines il me toisait avec arrogance (c’est du moins l’impression
que j’en retirai même s’il est difficile d’évaluer avec justesse l’état d’esprit
d’un campagnol). J’aurais pensé normal que, se sentant en danger, la sagesse
lui eût conseillé de fuir. Il n’en fut rien. Interloqué, je ne réagis qu’au
bout de quelque secondes. Pensant que l’animal avait une patte coincée dans le
piège ou qu’il était rendu incapable de se mouvoir par une blessure que lui
aurait infligée la tapette, j’avançai la main pour me saisir de cette dernière. C’est alors que
la bête s’enfuit avec une rapidité fulgurante.
Outre le fait que nous étions en plein jour et que l’abominable
rongeur des champs est supposé être nocturne, une telle impudence me surprend comme elle m’inquiète. Si ma présence ne dérange pas plus que ça la
bestiole, s’enhardissant, n’en viendra-t-elle pas à boulotter sous mes yeux
ahuris les miettes de mon petit déjeuner, voire dévorer à belles dents les
cacahuètes qui accompagnent l’apéro ?
De telles perspectives me glacent.