Hier, une amie Facebook a publié sur son mur la photo d’un
chevreuil et d’un isard pendus par les pattes arrières et dûment éviscérés. Je
suppose que c’était en devanture d’une boucherie. Elle eut droit à des
réactions horrifiées. Rendez-vous compte ! Un joli isard et un chevreuil tout mimi qu’on
a tués ! Des animaux qui ne demandaient
qu’à vivre ou à se faire bouffer par un gentil loup ou un adorable ours,
exposés ainsi comme n’importe quel dictateur déchu ! Dire qu’en passant
des enfants peuvent voir ce spectacle obscène qui révulse de jeunes femmes supposées
adultes !
Ces réactions sont symptomatiques. Nos ancêtres de
Cro-Magnon ne les avaient probablement pas. Et c’était préférable. Plutôt que
de s’extasier sur l’œil de velours de
ces gracieux mammifères ils y voyaient
une source de protéines. Le droit de chasse fut constamment réclamé dans les
cahiers de doléances de 1789. Chasser, tuer les bêtes de basse-cour, le cochon,
l’agneau, la chèvre était ordinaire jusque récemment dans notre France rurale.
Personne ne s’en offusquait. Le lien entre la viande qu’on mange et l’animal vivant,
si mignon soit-il, était évident.
Nos contemporains, devenus citadins, ont du mal à le faire.
Dans son conditionnement aseptisé ou, mieux, enrobé chapelure, la viande ou le poisson s’éloignent de plus
en plus de l’animal qui la fournit.
Même ainsi, les plus sensibles n’en peuvent plus : ils
tournent végétariens. Alors que l’être
humain a besoin de protéines animales. Évidemment les horrifiés de la barbaque le
nient. Pourtant, un régime totalement végétal nécessite la prise par ceux qui
le suivent d’additifs alimentaires.
Pour moi, cette répugnance à accepter que la mise à mort des
animaux est indispensable à notre alimentation me semble un signe de plus de la
décadence de notre société. Elle témoigne d’une sensiblerie qui se voudrait signe
de civilisation. J’y vois plutôt une régression. Plutôt que d’élever les
enfants dans une mièvre admiration de tout ce qui bouge, il me paraîtrait
préférable qu’on maintienne chez eux le
lien entre viande et animal, qu’ils assistent à sa mise à mort comme c’était (et c’est toujours) le cas dans
nos campagnes. Trouver ce spectacle horrible ne résulte que d’une mise en
condition bisounoursique. J’ai toujours vu
tuer lapins, poulets, porcs. J’ai vu les saigner. Je l’ai fait moi-même
à l’occasion. Je n’en suis pas pour autant devenu criminel.
Ma fille elle-même n’a pas ces répugnances stupides. Je me
souviens qu’un jour dans ses tendres années, l’emmenant à son club équestre,
elle s’extasia sur de mignons agneaux qui gambadaient dans un pré. « Oh,
papa, comme ils sont mignons ! » puis après un temps de réflexion : « Et
en plus, c’est drôlement bon ». Un jour qu’ayant renversé un chevreuil
avec ma voiture et que mon beau-père était venu le découper en mon absence,
elle fut la seule à assister à cette délicate opération tandis que ma femme et
sa mère s’en abstenaient. Elle n’en est pas devenue sanguinaire non plus.
A une époque ou tout enfant peut sans problèmes assister à
des milliers de meurtres à la télé on s’acharne à lui inculquer le respect de toute vie. Comme si
celle d’un lapin avait plus de valeur que celle d’un humain.
Que deviendraient nos hypersensibles s’ils se trouvaient d’aventure
dans une situation où pour survivre il leur fallait chasser ou pêcher ? Se
laisseraient-ils mourir de faim ou bien reviendraient-ils à de moins mièvres
sentiments ? La réponse ne me
paraît malheureusement pas évidente.