La nuit dernière, j’ai, en rêve, rencontré Dieu. J’en vois, au fond, qui commencent à ricaner. En rêve ? Ça compte pour du beurre ! J’ignorerai ces mécréants mais leur conseillerai de relire l’Ancien Testament où les rencontres de ce type sont fréquentes.
Dieu était attablé au bar-tabac où j’allai acheter des cigarettes. De la main, il me fit signe de m’approcher. Je sus d’emblée que c’était Lui : cheveux, blancs, lunettes, la soixantaine un rien fatiguée, de taille moyenne, un peu corpulent, Il me rappelait quelqu’un de manière troublante. J’en fus surpris jusqu’à ce que je me souvienne que c’était parfaitement logique, vu qu’Il m’avait créé à son image.
- Qu’est-ce que tu prends, me demanda-t-Il ?
J’hésitai un instant car je bois rarement entre les repas puis me décidai pour un café.
- Que me vaut l’honneur, m’enquis-je ?
- Rien de bien spécial. Il se trouve qu’hier ton blog entamait son cinquième mois et que je souhaitais t’en féliciter. On s'y sent comme dans une bonne chaumière, les pieds en éventail au coin du feu, un verre de cognac au bord des lèvres, et de la chaleur entre le maître de maison et ses hôtes.
Ces compliments me touchèrent autant qu’ils me troublèrent. Après une gorgée de café, je repris :
- Merci, Mon Dieu. Votre attention me flatte sans que je sois certain de la mériter. Une chose me trouble cependant : il me semble qu’il n’y a pas si longtemps, un ami m’a dit mot pour mot la même chose…
- Ah, Labeuche ? Rien d’étonnant à cela : je l’inspire beaucoup ces temps derniers. Au fait, tu peux me tutoyer, pas de manières entre nous.
- Je Vous remercie Mon Dieu, mais je n’oserais pas… Je n’ai pas le tutoiement facile, Vous savez. Sauf Votre respect, j’aimerais savoir pourquoi Vous Vous intéressez à moi qui ne pense pas souvent à Vous.
- Pas souvent ? Ça c’est de l’euphémisme ! En fait, tu m’amuses, ça me détend de lire tes conneries…
- Encore merci Mon Dieu, mais reconnaissez que si je ne pense jamais à Vous c’est un peu de Votre faute : Vous ne m’avez pas fait le don précieux de la foi…
- Pleure pas la bouche pleine, Jacquot ! Si je ne te l’ai pas donné, c’est que tu n’en avais pas besoin. Je t’ai donné le goût des femmes et des alcools forts, ce n’est déjà pas si mal…
- Ça se tasse, tout ça…
- Ah bon, ça se tasse ? Le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas très frappant quand tu vas mettre des bouteilles au tri.
- Je parlais des femmes, Mon Dieu…
- Ah je voulais te demander une chose : il m’arrive de venir faire une belote ici de temps en temps avec des amis. Ça te dirait de faire le quatrième ?
- En suis-je digne, Mon Dieu ? Je ne joue pas si bien que ça. Pourquoi ne pas choisir Lorraine ? Elle est nettement plus forte que moi.
- Justement ! Je n’aime pas tellement perdre…
- Entendu. Bon, mais c’est pas tout ça, j’étais venu en coup de vent, j’ai des choux de Bruxelles sur le feu, je n’aimerais pas les retrouver cramés, alors si Vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais prendre congé. A la prochaine, pour une belote !
- Je comprends, allez, à la revoyure !
Je poussais la porte quand Dieu me rappela :
- Quand tu verras Didier Goux, tu lui diras que j’aime bien ce qu’il fait.
- Quand je le verrai ? Jusqu’ici, on n’a pas eu la chance d’une rencontre…
- Je vais t’arranger ça, mon p’tit gars !
- Merci Mon Dieu !
Rasséréné, je rentrai chez moi en me disant que Dieu était bien agréable, même si prononcer toutes ces majuscules ne facilitait pas la conversation.