Ici, dans les collines, on a la paix. A condition de considérer que participent à la paix les bêlements des moutons, les meuglements des vaches, les criailleries des volailles, les bruits des moteurs de tracteurs, tronçonneuses, scies et autres débroussailleuses, et les jurons dont la fermière honnit chien et vaches.
Seulement, on n'a pas tout. Par exemple, les téléphones portables ne passent pas. Pour l'Internet, pas d'ADSL. La seule solution, c'est une connexion wifi par antenne. Seulement, ça marche comme ça peut. Pour une raison ou pour une autre ou sans raison du tout, ça déconnecte. J'ai le téléphone illimité par le même canal. Illimité, il l'est. Connecté pas toujours. Et puis surtout éminemment instable. Ça vous hache la parole façon robot ménager. De temps en temps, pourtant la liaison est parfaite. Le plus agaçant, c'est mes correspondants qui me disent ne pas bien entendre. J'ai beau me tuer à leur dire que c'est normal, habitués au confort auditif ils continuent à geindre.
L'autre jour, j'ai réalisé que, s'il m'arrivait un accident quelconque, pour prévenir d'éventuels secours, en admettant que ledit accident me laisse en état d'atteindre le téléphone, il se pourrait que ce dernier soit déconnecté ou qu'il fonctionne très mal. J'imagine ce genre de conversation :
- Allo, monsieur SAMU ?
- Oui ? Que puis-je faire pour votre service ?
- Je me meurs, M. SAMU, je me meurs !
- Vous vous quoi ? Je vous entends très mal !
- Je me meurs, vous dis-je ! Je me meurs !
- Ah, vous vous mourez ! Bon, et où donc vous mourez-vous ?
- Eh bien, je suis présentement en train de me mourir à schcrouic... blizhping...
- Ah, c'est terrible, je vous entends de plus en plus mal.... Je vais vous rappeler...
Et là ça coupe et M. SAMU est directement redirigé vers mon répondeur tandis que je continue de me mourir, inexorablement...
Angoissant, non ?
Eh bien non. Pas vraiment. Dans le fond, en admettant que ce scénario se produise, je ne ferais, à la tentative d'appel avortée près, qu'expérimenter ce que de tout temps les gens ont vécu, où qu'ils se trouvent, avant que la connexion téléphonique ne se généralise.