Quand j'ai vu leur annonce, je me suis dit pourquoi pas ? Il s'agissait d'aller enseigner le français dans des écoles primaires de Caroline du nord. 20 000 dollars par an, exempts d'impôts, voiture et assurance maladie fournies. C'était pas le Pérou mais ça paraissait jouable.
En plus, ça ravivait un de mes rêves de jeunesse : conduire une grosse voiture américaine sur les routes poussiéreuses du Sud. Ayant consacré mon mémoire de Maîtrise d'anglais à Erskine Caldwell, j'étais en pays de connaissance...
Et puis il faut dire que donner des cours de français à des cadres supérieurs de banque ou à des hauts fonctionnaires dans la City ou à Westminster ne nourrissait guère son homme...
Je me rendis donc à Birmingham où avaient lieu les entretiens. J'y rencontrai deux femmes charmantes, l'une anglaise, l'autre américaine. La conversation fut cordiale et je crois que quand je leur expliquai comment j'avais, alors que je travaillais dans une école secondaire de l'East End, amené un jeune cockney raciste à travailler avec un petit pakistanais, je gagnai leur cœur. Je quittai Birmingham plutôt confiant. Nous étions au printemps : en septembre je serais en Dixie Land.
Deux jours plus tard, le téléphone sonna et, au bout du fil, l'américaine me fit une proposition inattendue : je lui avais fait une si bonne impression, que ce n'était pas en septembre mais tout de suite, là, maintenant que je pouvais être embauché. Il me faudrait partir sous huitaine.
Imaginez mon embarras ! Il me fallait donner ma réponse le lendemain. Seulement, il y avait un petit hic : je vivais alors avec une jeune anglaise et la laisser choir ainsi me paraissait un rien cavalier. Gentleman un jour, gentleman toujours ! Certes, elles avait un caractère épouvantable et les amours n'étaient plus au beau fixe, mais quand même. De plus, elle avait son boulot à Londres et à quel titre entrerait-elle aux États-Unis si la folie la prenait de m'y suivre? Les States ne sont pas un moulin. Non, décidément, ce n'était pas possible.
Je recontactai mon interlocutrice, lui expliquant que le délai était trop court mais que je continuais d'être intéressé par un contrat en septembre. Ce dernier ne vint jamais.
En septembre, quand je me vis proposer un poste en France dans une institution pour jeunes "en grande difficulté" à prendre immédiatement, je n'hésitai pas un instant. Et vogua la galère...
C'est ainsi qu'il y a dix-huit ans je ne vécus pas le "rêve américain".