Allez savoir pourquoi, hier, je me suis demandé si le défunt site « Aux amis de Romain Gary » au forum duquel je participais et pour lequel j’écrivis quelques textes, voici une quinzaine d’année, n’aurait pas par hasard ressuscité. Je fis une recherche Google et ne trouvai qu’une coquille quasiment vide. Toutefois, à la rubrique «Rencontres avec Gary...» se trouvait un texte par moi écrit narrant comment, à une époque peu faste de ma vie, j’avais re-découvert cet auteur. J’y donnais quelques citations extraites de L’angoisse du roi Salomon, livre que j’ai lu, relu et re-relu maintes et maintes fois. Je reproduis ici ce texte avec l’espoir qu’il saura susciter chez certains l’envie de lire ce roman.
Parfois la vie se fait taquine. Longtemps vous vous étiez cru maître des choses et du destin et vous voilà bouchon jeté au gré des vagues d'une mer en furie contre les brisants. Et les brisants, ça casse. Vous échouez enfin, bouchon écorché de partout, sur une plage solitaire, inhospitalière… Un désert, humide et glacé.
Trêve de métaphores. J'allais sur quarante ans. Très allégé. Dans ma chambre meublée à Londres, je pouvais faire le bilan. Envolés veaux, vaches, cochon couvée, famille, foyer, amour, patrie. De l'autre côté, la vie devant moi… La vie comme on la voit quand on est fracassé et qu'on se doute que tous les whiskies de l'Ecosse ne seront remèdes que le soir et catalyseurs d'angoisse au matin.
C'est alors que j'ai rencontré Gary. Pour de bon. Je le connaissais déjà, bien sûr. J'avais goûté son humour. Comme on fait dans le confort, en esthète. J'allais le découvrir mieux. Car il y avait dans mon livre de chevet d'alors des phrase à vous requinquer le bouchon . A vous défracasser le bonhomme :
« Il s'est tu, pour m'encourager, car,des fois, la pire des choses qui peut arriver aux questions, c'est la réponse »
« Il a même réussi à empêcher une fille de se suicider, en lui prouvant que ce serait encore pire après. »
« Ils parlaient ensemble de la sagesse orientale qui leur est d'un grand secours, là-bas, quand on ne les a pas tués avant »
« Vous avez un sens aigu de l'humain, mon petit et c'est très douloureux. [...] Vous auriez fait autrefois un excellent missionnaire… au temps où on les mangeait encore. »
« Il faut prendre les choses du bon côté, mademoiselle Cora, sauf qu'on ne sait pas toujours lequel c'est. Ça ne se voit pas très bien... »
« Elle a recommencé à sangloter. C'était peut-être parce que le champagne s'est arrêté et l'a laissée seule. »
« Il paraît qu'ils ont des écoles de clowns en URSS où ils vous apprennent à vivre. »
« Il n'y a rien de pire pour un malheur que de manquer d'importance. »
« - Un brave homme, un brave homme ! répéta monsieur Salomon à deux reprises, pour mieux se contredire.
– Oui, c'est un méchant con, reconnus-je. »
« Le stoïcisme, c'est quand on a tellement peur de tout perdre qu'on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur. »
Je vous en passe des dizaines, des centaines, aussi bonnes mais qui ne concernaient pas la situation. Celles-là parlaient à mon mal-être.
Une bonne mécanique : on avance une platitude qu'on plastique d'un paradoxe, grinçant de préférence. Et voilà le malheur qui sourit ou le bon sens qui perd les pédales. On relativise, ça fait chaud : on n'est pas seul.
On est sur le fil, sans balancier et le pied pas bien assuré. Ben, ces petites lueurs ironiques, ça fait des points de repère. On avance… On a beau savoir que le funambule en chef , un jour de stoïcisme (ça tombe souvent le 2 décembre, le stoïcisme) s'est fait un croche-pied, ça ne change rien. C'est les risques du métier. Si personne ne croyait en la possible chute, pas de public, pas d'artiste. C'est comme ça.
Les belles leçons, les meilleurs aphorismes, ça ne vous remet pas à neuf. Mais ça aide à faire un petit pas en avant… Et comme dit si bien la chanson : « La meilleure façon de marcher, c'est encore la nôtre, c'est de mettre un pied devant l'autre et de recommencer ».
Ainsi, de petit pas en petit pas, on finit par atteindre le bout du fil. On abandonne le funambulisme pour la terre ferme. On se refait une existence, plusieurs si nécessaire. Et revenu le confort, on redevient esthète. Mais on n'oublie pas.
Voilà ce qu'a été et reste pour moi Gary : un faiseur d'étoiles dans la nuit.
Je ne suis pas fan. Je n'aime pas tout. Je ne le suis pas dans bien des envolées. Les pieds sur terre, j'ai vite le vertige. Mais comme Brassens c'est un compagnon à qui je suis fidèle. Fidèle au rire doux-amer dont ils ont su parer leur angoisse… et, accessoirement, ma vie.
Parfois la vie se fait taquine. Longtemps vous vous étiez cru maître des choses et du destin et vous voilà bouchon jeté au gré des vagues d'une mer en furie contre les brisants. Et les brisants, ça casse. Vous échouez enfin, bouchon écorché de partout, sur une plage solitaire, inhospitalière… Un désert, humide et glacé.
Trêve de métaphores. J'allais sur quarante ans. Très allégé. Dans ma chambre meublée à Londres, je pouvais faire le bilan. Envolés veaux, vaches, cochon couvée, famille, foyer, amour, patrie. De l'autre côté, la vie devant moi… La vie comme on la voit quand on est fracassé et qu'on se doute que tous les whiskies de l'Ecosse ne seront remèdes que le soir et catalyseurs d'angoisse au matin.
C'est alors que j'ai rencontré Gary. Pour de bon. Je le connaissais déjà, bien sûr. J'avais goûté son humour. Comme on fait dans le confort, en esthète. J'allais le découvrir mieux. Car il y avait dans mon livre de chevet d'alors des phrase à vous requinquer le bouchon . A vous défracasser le bonhomme :
« Il s'est tu, pour m'encourager, car,des fois, la pire des choses qui peut arriver aux questions, c'est la réponse »
« Il a même réussi à empêcher une fille de se suicider, en lui prouvant que ce serait encore pire après. »
« Ils parlaient ensemble de la sagesse orientale qui leur est d'un grand secours, là-bas, quand on ne les a pas tués avant »
« Vous avez un sens aigu de l'humain, mon petit et c'est très douloureux. [...] Vous auriez fait autrefois un excellent missionnaire… au temps où on les mangeait encore. »
« Il faut prendre les choses du bon côté, mademoiselle Cora, sauf qu'on ne sait pas toujours lequel c'est. Ça ne se voit pas très bien... »
« Elle a recommencé à sangloter. C'était peut-être parce que le champagne s'est arrêté et l'a laissée seule. »
« Il paraît qu'ils ont des écoles de clowns en URSS où ils vous apprennent à vivre. »
« Il n'y a rien de pire pour un malheur que de manquer d'importance. »
« - Un brave homme, un brave homme ! répéta monsieur Salomon à deux reprises, pour mieux se contredire.
– Oui, c'est un méchant con, reconnus-je. »
« Le stoïcisme, c'est quand on a tellement peur de tout perdre qu'on perd tout exprès, pour ne plus avoir peur. »
Je vous en passe des dizaines, des centaines, aussi bonnes mais qui ne concernaient pas la situation. Celles-là parlaient à mon mal-être.
Une bonne mécanique : on avance une platitude qu'on plastique d'un paradoxe, grinçant de préférence. Et voilà le malheur qui sourit ou le bon sens qui perd les pédales. On relativise, ça fait chaud : on n'est pas seul.
On est sur le fil, sans balancier et le pied pas bien assuré. Ben, ces petites lueurs ironiques, ça fait des points de repère. On avance… On a beau savoir que le funambule en chef , un jour de stoïcisme (ça tombe souvent le 2 décembre, le stoïcisme) s'est fait un croche-pied, ça ne change rien. C'est les risques du métier. Si personne ne croyait en la possible chute, pas de public, pas d'artiste. C'est comme ça.
Les belles leçons, les meilleurs aphorismes, ça ne vous remet pas à neuf. Mais ça aide à faire un petit pas en avant… Et comme dit si bien la chanson : « La meilleure façon de marcher, c'est encore la nôtre, c'est de mettre un pied devant l'autre et de recommencer ».
Ainsi, de petit pas en petit pas, on finit par atteindre le bout du fil. On abandonne le funambulisme pour la terre ferme. On se refait une existence, plusieurs si nécessaire. Et revenu le confort, on redevient esthète. Mais on n'oublie pas.
Voilà ce qu'a été et reste pour moi Gary : un faiseur d'étoiles dans la nuit.
Je ne suis pas fan. Je n'aime pas tout. Je ne le suis pas dans bien des envolées. Les pieds sur terre, j'ai vite le vertige. Mais comme Brassens c'est un compagnon à qui je suis fidèle. Fidèle au rire doux-amer dont ils ont su parer leur angoisse… et, accessoirement, ma vie.