Je ne sais pas si ça vous arrive mais
moi j'entends parfois des gens proférer au sujet des immigrés et
autres migrants des propos qui, s'ils étaient tenus publiquement par
un militant FN lui vaudraient une suspension immédiate tandis qu'il
offrirait aux media bien pensants l'occasion d'une nouvelle campagne
haineuse. Quand vous leur demandez vers où va leur vote, vous avez
la surprise d'entendre qu'ils choisissent des partis qui encouragent
le multiculturalisme, défendent l'idée que l'immigration
enrichirait la France et tout ce qu'ils déclarent réprouver. Si
vous leur suggérez qu'un vote FN serait plus en accord avec leurs
opinions, ils poussent les hauts cris. Comment pourraient-ils
apporter leur suffrage au seul parti qui, de façon plus modérée
certes, partage leur point de vue ?
Comment expliquer cette apparente
schizophrénie ? C'est que la diabolisation fonctionne encore
suffisamment pour que bien des gens répugnent à introduire une dose
de cohérence entre ce qu'ils pensent et leur choix. Selon moi, ils
ont tort car tous ces gens "raisonnables, posés et de sens rassis" ne
sauraient qu'avoir une influence apaisante sur un mouvement quel
qu'il soit. Sans compter qu'il est hautement improbable que dans
certaines régions les 45% qui ont voté FN soient TOUS de parfaits
abrutis assoiffés de sang, ne serait-ce que parce que cette dernière
catégorie n'est pas si répandue et que bien des parfaits abrutis
assoiffés de sang votent à gauche.
Bien que journalistes et politiques
n'inspirent guère confiance à une large majorité ils sont, à
force de répétitions, parvenu à inculquer une sainte trouille de
ce parti chez une majorité, décroissante certes, mais une
majorité quand même. Ils n'ont donc pas perdu leur temps et la
digue qu'ils ont inlassablement construite pour contenir le flot de
la pensée identitaire semble jusqu'ici tenir. Seulement, il semble
également qu'elle connaisse des failles et les failles, c'est
mauvais pour les digues, très mauvais, surtout quand ceux qui les ont
construites ne disposent plus de matériaux idéologiques nouveaux
pour les combler.
Devant la lassitude croissante et la
perte d'efficacité qu'engendrent les discours diabolisateurs, on a
vu apparaître de nouveaux argumentaires : ceux du plafond de
verre, du manque de compétence des équipes et du programme économique
irréalisable. Ce dernier point est par définition stupide :
quand un programme est irréalisable, on en applique un autre !
Ce n'est pas M . Maurois qui m'aurait contredit là-dessus.
Quant au manque de compétence et d'expérience, quand on voit le
spectacle qu'offrent depuis bientôt quatre ans les divers
gouvernements socialistes, il faut un sacré self-contrôle pour ne
pas s'étrangler de rire face à un tel argument ! Sans compter
qu'experts et hommes d'expérience se rueraient au secours de la
victoire comme hommes de gauche à Vichy.
La notion de plafond de verre me paraît
présenter un peu plus d'intérêt. Tous les fins analystes
politiques qui viennent finir leurs après-midis autour du bon Yves
Calvi vous le diront et répéteront : on ne peut pas gagner
d'élections sans alliés. Un LR sans UDI, un PS sans EELV, Radicaux
de Gauche et PC ne sauraient être majoritaires. En gros, faute
d'unir une carpe et un (voire plusieurs) lapin(s) aucun mariage ne
saurait réussir. Et si c'était tout le contraire ? Si les
alliances contre nature ne pouvaient mener qu'à des déconvenues ?
Ne serait-il pas indispensable pour gouverner un pays qu'un parti
dispose du soutien clair et affirmé d'une nette majorité des
électeurs ? Comment un parti pourrait-il mener une politique
cohérente susceptible de satisfaire ses partisans s'il s'allie à
d'autres qui n'ont que mépris et/ou haine envers lui et dont
les tenants ont d'autres aspirations ? Les alliances ne mènent qu'à
l'impuissance et au bricolage. Est-ce ce dont a besoin un pays en
grave crise ?