..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

samedi 21 décembre 2013

Pour en finir avec Arthur Rimbaud

Il y a des gens qui ont le don de m’agacer. C’est le cas d’un certain Arthur Rimbaud, un soi-disant poète du siècle avant-dernier. Voilà un gars qui entre 16 et 21 ans rimailla un peu.  Vraiment pas de quoi faire un plat. Il fréquenta intimement M. Paul Verlaine, un vrai poète comme on les aime, lui. Du genre qui abandonne sa chaste et noble épouse pour courir l’aventure avec un gamin, qu’on  ramasse ivre-mort dans les caniveaux mais qui vous font de jolis petits poèmes sur la fidélité conjugale et la sagesse. Eh bien figurez-vous que ce grand honnête homme a fini par révolvériser l’infâme Arthur tellement ce dernier était désagréable. Quand on a dit ça, on a tout dit.

Certains vous parleront d’une œuvre immortelle. Certains ont la triste manie de dire n’importe quoi. Son œuvre complet constitue un maigre volume dans la Pléiade. Et encore pour parvenir à ce piètre résultat a-t-il fallu y inclure ses lettres à sa môman, ses notes de blanchisseries et ses listes de courses.

Quant aux « poèmes »…
En voici quelques tristes exemples :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! –

Passons sur les obscurs néologismes. Ainsi, d’après ce joli coco, les voyelles auraient des couleurs. Admettons. On commence un délire et, en bon gougnafier, on s’arrête en chemin. Et les consonnes, elles sentent le pâté ? T, pour ne prendre qu’un exemple, est-il  mauve-burne ou vert caca d’oie ? On ne le saura jamais. Et d’ailleurs on s’en tape.

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

C’est même pas vrai. Les Peaux-Rouges n’ont jamais cloués de haleurs nus aux poteaux de couleurs. C’est en vain que l’on chercherait dans les gazettes de l’époque la relation d’un tel fait divers. De plus, M. Rimbaud n’a JAMAIS mis les pieds en Amérique. Un menteur doublé d’un raciste, tel était la vraie nature d’Arthur.

J’avais cru pouvoir un jour tirer avantage de sa célèbre phrase « Je est un autre ».  J’écrivis au percepteur que, partant de ce principe, il n’y avait aucune raison pour que JE paye la taxe d’habitation, la taxe foncière ou l’impôt sur le revenu d’un AUTRE. En pure perte. Je n’obtins aucune annulation de taxes et me vis infliger 10 % de pénalités.

Quand on pense que de tels insignifiants occupent abusivement la place qui revient de droit aux vrais poètes, ça fout les boules !

Voici maintenant un exemple de poésie chantée. Texte élégant et riche de sens. De plus, il vous reste trois jours pour apprendre paroles et musique (Vous la trouverez ici chantée par Georgius) et éblouir vos convives lors du réveillon de Noël. Ne me remerciez pas, le goût de partager les belles choses m’est naturel :

Méfiez-vous d’Anatole

Anatole était mon meilleur copain
Jusqu'à-z hier matin
J'y aurais confié un secret personnel
Ou ma montre en nickel
Eh bien ! Il vient d'abuser d'ma bonn' foi
Pendant mon absence, il est v'nu chez moi
Il a pincé les nichons de ma sœur
Il a bavé dans le plat de choux-fleurs !
Il s'est lavé les pieds dans mon piano
Il s'est essuyé avec mes rideaux
Refrain
Méfiez-vous d'Anatole
C'est un coquin
C'est un coquin
Sous son air bénévole
Il cache une âme de gredin
J'aurais dû ouvrir l'œil depuis longtemps
Je me souviens maint'nant
Dans la maison d'campagn' de mes parents
Je l'emmenais souvent
Or la nuit fallait en cas de besoin
Aller aux waters dans l'fond du jardin
Mais lui rel'vait le rideau d'la ch'minée
Posait sa carte et retournait s'coucher
Le lend'main, la bonn' l'accusait tout haut
Il lui sout'nait qu'ça v'nait des p'tits oiseaux
Refrain
Méfiez-vous d'Anatole
C'est un coquin
C'est un coquin
Sous son air bénévole
Il cache une âme de gredin
Ma bonn' grand-mère avait un râtelier
Qu'ell' mettait pour dîner
Après chaqu' repas ell' le déposait
Dans un p'tit coffret
Anatol' qui n'pensait qu'à faire des tours
S'en fut en douc' le chiper un beau jour
Et su' l'fauteuil où ell' devait s'asseoir
Vint le poser sans qu'personn' puiss' le voir
Si bien que lorsque s'assit ma grand-mère
Avec ses dents ell' se mordit l'derrière
Refrain
Méfiez-vous d'Anatole
C'est un coquin
C'est un coquin
Sous son air bénévole
Il cache une âme de gredin
J'y avait prêté pendant toute un' semaine
Ma jolie Citroën
Un beau jour devant aller à Bordeaux
J'lui réclam' mon auto
Il me la rend. Nous partons tous les deux
Mais en arrivant près de Périgueux
Trouvant que ma voiture roulait moins bien
J'lui dis inquiet : "J'me demande à quoi ça tient ?"
Et c'est alors que cette crapule m'avoue
Avoir vendu le moteur et les roues !
Refrain
Méfiez-vous d'Anatole
C'est un coquin
C'est un coquin
Sous son air bénévole
Il cache une âme de gredin
Une autr' fois je l'emmène faire un billard
Au café des Boul'vards
Ça faisait douz' parties qu'il v'nait d'gagner
J'lui dit : "Rentrons dîner."
Mais v'là l'patron qui cavale derrière nous
En nous traitant de voleurs, de filous
"Mon billard, nous dit-il, il a disparu
J'veux vous fouiller..." Et alors, qui l'eut cru ?
On a r'trouvé l'billard dans son veston

Et puis les boul's dans son pantalon
Refrain
Méfiez-vous d'Anatole
C'est un coquin
C'est un coquin
Sous son air bénévole
Il cache une âme de gredin

jeudi 19 décembre 2013

Une bonne manière de se faire des amis !


Comme tout homme d’âge mur, voire blet,  je reçois de temps à autre des propositions d’amitié de jeunes femmes ma foi fort attrayantes et un peu lascives si en en juge par les photos de leur profil, exerçant souvent, quand elles en exercent une, la très honorable profession de coiffeuse. Je n’ai rien contre les coiffeuses et je sais à quel point mon charme est irrésistible (voir plus bas), mais je ne donne pas suite.

L’autre jour, c’est de Google + que m’est venue une demande d’ajout à mes cercles d’une certaine Barbara, dont le nom ne me disait rien. Je suis très rarement allé à Brest (ou à Nantes) et n’y ai fait aucune rencontre qu’il y pleuve ou vente. Par acquit de conscience, je cliquai tout de même sur le lien et vis la photo de la jeune femme en question. Jamais rencontrée. Ce qui me sembla  dommage tant elle était splendide.  Je vis qu’elle avait de nombreux contact, 260 pour être exact. N’ayant pas grand-chose d’urgent à faire je cliquai sur le lien adéquat et là je compris le pourquoi de sa demande : à de rares exceptions près, c’étaient des hommes d’âge mûr qui partageaient une caractéristique supplémentaire : celle de s’appeler Jacques.

Curieusement donc, ma potentielle amie collectionnait les Jacques ! Quelques rares Fabrice s’étaient  bien introduits dans la liste, mais on sentait qu’ils n’étaient là que pour mieux souligner l’omniprésence de mes homonymes. Comment expliquer le goût immodéré de cette jeune Centre-Africaine  (c’est du moins le lieu de résidence qu’elle indiquait) d’une part pour les Jacques et ensuite pour les hommes d’âge mûr ? Il est  aisé de répondre à la deuxième partie de la question : Si on aime ce prénom,  vu qu’il est passé de mode depuis longtemps, on ne peut contacter que des gens  dont la prime jeunesse n’est qu’un lointain souvenir. Reste l’énigme du Jacques.

Si on en croit un des nombreux sites décrivant l’origine des prénoms et le caractère de ceux qui les portent, voici ce qu’on apprend : «Jacques a plutôt fière allure et il est distingué. C'est un être à part qui se démarque tant par sa vivacité intellectuelle que par son charme irrésistible. Jacques est direct et sa franchise le fait passer parfois pour un indélicat. Jacques a une forte personnalité et une très grande maîtrise de lui-même. Il réalisera ses objectifs coûte que coûte, les obstacles et les échecs ne faisant que renforcer son obstination. En amour, Jacques s'impliquera entièrement dans son couple et se montrera parfois possessif. Cependant, c'est un grand tendre et la loyauté est une de ses principales vertus. »

 Résumons-nous : fière allure, distinction, intelligence vive, charme irrésistible, franchise, forte personnalité, maîtrise de soi, ténacité, tendresse, loyauté ? Mais ce n’est pas mal du tout, ça ! Bon, d’un autre côté, il est rare que l’on décrive les porteurs de tel ou tel prénom comme collectionnant les vices et les tares au point qu’on s’étonne qu’ils ne soient enfermés ou pendus. N’empêche, parmi les nombreuses qualités que possèdent à  un degré éminent tel ou tel prénommé, il en est qui attirent davantage. J’en conclus donc que celles des Jacques conviennent à Barbara et que, femme conséquente elle en a tiré les leçons qui s’imposaient.

N’avoir que des ami(e)s portant le même prénom, en plus des vertus communes que cela implique présente un avantage : lorsqu’on vous téléphone en vous disant « c’est moi ! »et que vous ne voyez pas qui ça peut bien être, avec le prénom unique, vous ne risquez pas la bévue. De même si vous êtes de caractère volage, si vos amants ou maîtresse sont tous homonymes, vous vous éviterez bien des scènes.

J’en viens donc à la conclusion que, bien que cyclothymique, Barbara est une femme de grand bon sens et que sa manière de rechercher des contacts mérite mieux que des sarcasmes.


En prime parce que vous avez été bien sages :  La photo de Barbara !



mercredi 18 décembre 2013

Banques, ministères, etc. (3)



Un autre banquier, travaillant pour une banque américaine cette fois, me fit acquérir une notion assez exacte de ce que pouvait recouvrir le terme « burnout ». C’était un homme très sympathique, charmant et plein d’enthousiasme. Le formateur qui m’avait précédé lui avait fait, à travers la lecture de La Femme du boulanger, découvrir le talent de Pagnol.  Il me suggéra donc que nos cours fussent basés sur la poursuite de cette lecture. Je n’y vis pas plus d’inconvénient que si ses préférences l’avaient poussé vers l’étude de l’annuaire téléphonique de la Haute-Loire (édition de1963) : keep the customer satisfied est une de mes maximes.

Seulement, de menus problèmes venaient perturber notre progression à travers les heurs et malheurs du cocu provençal. D’une part, d’incessants appels téléphoniques venaient le troubler et, en cas d’accalmie, il avait une fâcheuse tendance à bailler puis à s’endormir. Je le voyais lutter désespérément contre l’alourdissement de ses  paupières et craignais de devoir le quitter dans les bras de Morphée, le front posé sur le livre du bon Marcel. Une telle mésaventure n’aurait pas plaidé en faveur du côté stimulant de ma pédagogie…

Nos cours ayant lieu en soirée, il me demanda de les transférer au matin. J’accédai à sa demande. Cela ne changea rien car s’il tombait de sommeil le soir, le matin il n’était pas réveillé. Il me raconta quelques mésaventures que lui occasionnait sa  grande fatigue. Entre autres étourderies, il lui arriva un beau matin de remplir le réservoir de sa Porsche de gazole, avec les regrettables conséquences que l’on devine.  Ce qui me turlupinait quand même un peu, bien que cela ne me concernât pas vraiment, c’était que cet homme qui semblait traverser ses journées dans un état semi-comateux, était quand même en charge, si j’en croyais la teneur des appels que je l’entendais recevoir, de gérer des millions de Livres. Espérons que ce faisant, il se montrait moins distrait qu’à la station service…

Un jour, il se déclara trop occupé et fatigué pour poursuivre les cours. Quand il aurait récupéré la forme, il me recontacterait avec plaisir. Je n’en entendis plus jamais parler…

Cadre d’une banque japonaise, M. Y  m’apprit beaucoup sur la civilisation nippone. Outre de précieuses informations sur les mœurs et coutumes, bizarres à mes yeux d’occidental, du peuple japonais, sa fréquentation me laissa trois souvenirs marquants.

Le premier fut la visite d’un ponte de Tokyo à la branche londonienne de la banque. Ce jour-là, Y m’attendit au rez-de-chaussée et m’invita à monter à son étage par l’escalier m’expliquant qu’au cas où l’importantissime personnage eût désiré quitter la banque, il eût été inconvenant de le retarder en occupant l’ascenseur. D’ailleurs, personne n’eut l’outrecuidance de se servir de cet équipement  jusqu’au départ du Tokyoïte.

J’assistai à ce départ, scène mémorable. Toute l’équipe dirigeante le raccompagna jusqu’à l’ascenseur dans lequel il monta seul. Dans un silence total, je vis les divers responsables faire moult et moult courbettes devant la porte fermée de l’appareil et les courbettes continuèrent bien après que le personnage ait disparu. Je pense que le grand homme était déjà installé dans sa limousine quand cessèrent les révérences. On dira ce qu’on voudra, mais les japonais ont un sens et un respect de la hiérarchie que nous sommes loin d’égaler.

Le second souvenir fut le départ pour le Japon du directeur de la branche. Ce fut l’occasion de grandes libations auxquelles participa activement mon disciple. Lesquelles se poursuivirent pendant une bonne semaine. Assis à attendre Y dans le hall de l’étage de direction, j’apercevais dans une vaste salle de réunion tout ce qui comptait dans la banque porter maints et maints toast à la santé et prospérité du dirigeant, en vidant force coupes de saké. Quand Y finissait par me rejoindre, il en avait un bon coup dans les carreaux. Un jour il faillit tomber de son siège, un autre il s’endormit carrément.

Le dernier fut qu’un jour, ayant quelque consigne à y donner , Y m’amena aux quartiers des esclaves (ou salle des marchés), toujours patriote, il me fit remarquer qu’alors que la journée de travail était officiellement terminée, seuls les japonais continuaient, et en nombre,  de travailler. J’aperçus pourtant une chevelure blonde dépasser du dossier d’un fauteuil. Je le fis remarquer à Y que cette singulière nouvelle intrigua. Nous nous approchâmes du brave Européen pour constater qu’il dormait d’un profond sommeil…

mardi 17 décembre 2013

Banques, ministères, etc. (2)



Un siège de grande banque, c’est trois parties bien distinctes : un hall, l’étage de la direction et les salles de marchés. Le hall se doit d’être monumental et impressionnant. C’est le premier contact qu’a le visiteur important avec l’établissement (et même celui sans importance dont on se fout totalement mais on ne peut pas toujours faire une entrée spéciale loquedus) : il faut donc qu’il en impose et lui laisse une impression de puissance, de richesse, de beauté, d’élégance.  L’étage de la direction, c’est pareil : calme, luxe et volupté. En revanche, les salles de marchés sont des open spaces où l’on s’étonne toujours de ne pas voir, en leur centre, grimpé sur un podium, un homme muni d’un fouet chargé de stimuler l’enthousiasme des galériens de la finance collés comme berniques à leurs écrans. Ne nous méprenons pas : cette chiourme n’est pas misérable : elle est bien et, suivant son poste, parfois même très bien payée. Mais elle évolue dans un espace déshumanisé et oppressant.

Le formateur en Langues Étrangères pénètre donc, attaché-case à la main dans le hall, et sauf lors de sa première visite,  ne s’émerveille pas plus que ça de ses dimensions pharaoniques ni des cascades artificielles et de la profusion d’immenses plantes vertes et d’éléments de décoration divers qui font sa majesté. Il se rend au bureau de la réception et annonce à l’appariteur son rendez-vous avec Mr.  X.  Plus Mr X ; est important, plus l’employé se montre déférent. Du moins la première fois. Une fois qu’il vous aura identifié comme un médiocre, son respect  baissera d’un cran, vous plaçant entre le garçon de courses et le visiteur de marque. Après vous avoir fait décliner votre nom et celui de votre société, il demande à un collègue de vous accompagner jusqu’au salon d’attente tandis que l’on prévient Mr X de l’arrivée de son rendez-vous. Le salon est cossu. Après quelques minutes, selon l’importance de X, il descendra lui-même vous chercher ou chargera un appariteur de vous accompagner.

A la L*****  Bros & Co Ltd., banque d’affaires Franco-Américaine mondialement réputée (New-York, Paris et Londres), je donnais des cours à un associé-gérant. C’est donc un appariteur qui venait me chercher, appelait pour moi l’ascenseur, m’en ouvrait obligeamment la porte, et à l’aide de sa clé magique nous faisait monter à l’étage-qui-n’existe-pas.  Car, et ça se comprend aisément, ces messieurs de la direction ne souhaitant pas être dérangés par quelque employé ou visiteur distrait, occupaient un étage qu’aucun bouton ne signalait et au niveau duquel ne pouvaient accéder que les possesseurs de la clé magique. M’ouvrant avec déférence (surtout la première fois) les nombreuses portes du couloir, mon ange gardien me menait soit au bureau de monsieur X soit dans une salle de réunion. Endroits toujours coquets aux murs lambrissés d’acajou ou autres bois précieux et ornés de tableaux que je soupçonnais fort d’être originaux. Mr X arrivait, tout rayonnant de fausse bonhommie, s’enquerrait de la santé de son cher Jacques et la séance pouvait commencer.  Ce cher X, cultivait avec un rare bonheur l’art d’être désagréable.  C’était un Indien. Il semblait qu’il mît un point d’honneur à bien faire sentir sa supériorité au gens de moindre étoffe qu’il rencontrait. C’était un jeu subtil, cependant : toujours poli, il s’arrangeait, par exemple,  pour amener dans la conversation le club prestigieux dont il était membre puis pour vous demander si vous-même en fréquentiez un similaire. Ou bien évoquant la récente acquisition de quelque voiture de luxe, il vous demandait ce que vous pensiez du modèle… J’avais envie de lui dire que ce n’était pas avec le maigre salaire que je me faisais à écouter ses âneries que j’aurais pu me permettre de telles fantaisies mais je me contentais d’être mal à l’aise.

Nos conversations (émaillées de précisions grammaticales) ayant lieu durant sa pause déjeuner, il arrivait qu’en proie à une petite faim, il me conviât à partager un en-cas que nous apportait prestement un appariteur. Saumon fumé, viandes froides, salades et autres pâtisseries qu'on nous servait étaient d’excellente qualité, un vin fin les accompagnait. Du coup, j’hésitais, même si mon estomac le réclamait à m’offrir un sandwich avant la séance… 

Plus le temps passait, plus l’animosité qu’il m’inspirait allait grandissante. Parallèlement, il semblait me trouver de plus en  plus sympathique et me complimentait sur mes connaissances et mon professionnalisme… J’aurais juré qu’il le faisait exprès pour me donner  mauvaise conscience…

lundi 16 décembre 2013

Banques, ministères, etc. (1)



Être formateur en Français-Langue-Étrangère, si ça ne rapporte pas grand-chose présente au moins l’avantage de faire découvrir des milieux et des endroits  que l’on aurait sinon ignorés. Rencontrer des gens de toutes sortes est un des attraits de la vie. 

Un an durant, j’occupai cette fonction à Londres. Ça avait plutôt bien commencé. Ayant envoyé mon C.V. à divers instituts ou écoles je fus souvent convié à des entretiens qui ne menèrent à rien. Et puis un jour je rencontrai  M. Tous Langages, un Français,  qui sembla on ne peut plus intéressé par  ma candidature. Quand étais-je prêt à commencer ? Les conditions me convenaient elles ? Bref on était dans le concret. En tant que chômeur non indemnisé, j’avais hâte de cesser de vivre aux crochets de ma compagne : tout me convint donc à merveille et ma disponibilité fut totale.  Il me fut demandé si entre autres missions, j’accepterais de donner des cours d’initiation au français, en août, à de jeunes enfants d’une banlieue huppée. Tu parles que j’accepterais ! Prêt-à-tout était mon deuxième prénom ! Je préparai donc un cours en ce sens. Ça se passa super-bien. Parents, enfants, M. Tous Langages et son associé furent ravis et impressionnés par les merveilleux résultats obtenus en si peu de temps. M. T.L. en personne me convoqua pour un entretien.

J’en sortis abasourdi. Malgré mes immenses mérites si souvent reconnus (humour !) je crois n’avoir jamais reçu autant de compliments  et, qui mieux est, m’être vu ouvrir de perspectives aussi alléchantes. M. T.L. débordait d’enthousiasme à mon endroit. Il me fit miroiter des voyages à Paris en compagnie d’hommes d’affaires ou de politiciens importants à qui je servirais d’interprète à raison de plusieurs centaines de livres la journée, des missions de traduction grassement payées. Un brin mélancolique, il se déclara plus tout jeune, il fallait penser à l’avenir… Bientôt viendrait le temps où la fatigue des ans (- Allons, M. T.L ., vous êtes frais comme l’œil !) nécessiterait qu’il ait à ses côtés quelqu’un sur qui se reposer (en tout bien tout honneur, va sans dire, car le bougre en était un !). En fin d’entretien, il me demanda si je serais également  intéressé par m’occuper de cours aux enfants sur une base pérenne. Il ne me demandait pas une réponse immédiate, simplement d’y réfléchir. Je le quittai un peu étonné qu’il ne m’ait pas demandé huit jours de délai pour débarrasser son bureau des affaires personnelles dont il l’encombrait afin que je m’y installasse. Un oubli, probablement…

Je réfléchis donc à sa proposition et arrivai à la conclusion que je n’avais pas quitté le noble métier de professeur pour recommencer à me coltiner des morpions. Quelque temps plus tard, je lui signifiai ma préférence pour l’interprétariat, la traduction et les cours aux adultes. C’était la MAUVAISE réponse.  Du coup, il ne fut plus question de voyages, de traductions et encore moins de sous-direction.  On ne me confia plus que quelques heures de cours de ci-de là et mon salaire se fit bien maigre…

N’empêche ça me permit de découvrir de nouveaux univers comme la banque et les ministères…