..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

dimanche 6 octobre 2013

Qui fut vraiment Saint Marcelin ? (2)



Alors qu’il n’était venu que pour la soirée, Marcelin, quinze jours plus tard, quitta à regret et rincé la motte de Guenièvre pour aller sans plus barguigner demander la main de sa propriétaire au bon Rainier. Ce dernier mit à son accord certaines conditions : Marcelin renoncerait à sa vie de débauche et d’exactions, rendrait à ses victimes le butin qu’il avait amassé et mènerait une vie pieuse. Le brigand repenti accepta les deux premiers points sans rechigner. 

D’abord, la vie de débauche lui paraissait bien fade en comparaison des plaisirs que lui offrait Guenièvre. Ensuite, pourquoi eût-il pillé alors que les coffres de son aimée regorgeait d’or et ses celliers de blé ? 

Rendre les trésors amassés serait vite fait, vu qu’il avait tout dépensé au fur et à mesure. Il s’y engagea donc et chargea le bon prélat de répartir entre ses victimes les sept sols et quatre deniers qui lui restaient en tout et pour tout. Rainier, fit un peu la gueule et se jura de formuler différemment ses exigences lorsqu’il aurait de nouveau à faire rendre gorge à un seigneur brigand.

Le troisième point pourtant lui posait question. Il dut reconnaître, en s’excusant de son outrecuidance face au saint homme, que la piété n’était pas son truc. Pour tout dire, il s’emmerdait à la messe. Surtout pendant le sermon. Le brave pasteur lui rétorqua avec un bon sourire qu’il n’était pas le seul dans son cas, qu’il fallait faire preuve de patience et qu’une prière fervente compenserait une attention relâchée à l’office. A quoi Marcelin répliqua que prier le faisait bougrement chier. Que faire ? La brebis égarée puis retrouvée se montrait décidément peu encline à mener une vie religieuse. L’action charitable ne serait-elle pas une manière possible d’offrir sa prière ?

Marcelin acquiesça.

En ces temps de renouveau du monachisme alors que Cluny sous l’impulsion de Bernon puis d’Odon avait commencé d’établir son réseau d’abbayes filles à travers l’Europe, fonder un monastère serait peut-être un moyen efficace de se racheter…

Ouais, tiens ! Un monastère, pourquoi pas ? Mais à condition d’en être l’abbé ! C’est vrai quoi, on fournit le terrain, on paye les maçons, ça coûte la peau des rouleaux et qui en profite ? Un cul béni qui marmonne en latin ! Rainier eut beau arguer que pour être abbé il fallait savoir lire, parler et écrire en latin, être prêtre, célibataire et adepte de la vie contemplative, rien n’y fit. S’il ne pouvait pas être abbé, il exigeait d’être le chef de sa communauté. Sinon il ne fonderait rien du tout.

L’évêque finit par accepter les conditions de Marcelin.

Le mariage de Guenièvre et du repenti eut donc lieu. Fêtes et ripailles durèrent tant que peu, au moment de partir, se rappelaient du chemin de chez eux… Quand ils se souvenaient avoir vécu avant…

Leurs invités partis, les tourtereaux s’en donnèrent à cul-joie. Mais au bout de quelques mois de galipettes interrompues de siestes et coupées de plantureuses collations, leur revint la promesse faite à Rainier.

Ils décidèrent ce qui suit :
Ils feraient don à ceux de leurs serfs qui le souhaiteraient de toute la terre qu’ils pourraient défricher dans la forêt de Chaude-Touffe* en l’espace de trois ans. 
Tous ceux qui participeraient à l’essartage seraient affranchis.
Leur serait offert une maison de pierre dans le village modèle qui serait préalablement construit dans la clairière centrale que Guenièvre et Marcelin feraient ménager au centre de la forêt.
Ils bailleraient également les fonds nécessaires à la construction des bâtiments collectifs : église, four, moulin (pour lequel on élèverait une butte), puits et taverne- hôtel pour les visiteurs.
Curé, boulanger, meunier et aubergiste seraient payés par les seigneurs pendant les quatre premières années jusqu’à ce que les terres rendent.
Pour la même durée les affranchis seraient nourris (grassement) et abreuvés en vin ou en bière (à volonté).
Les frères et les sœurs de la communauté, s’ils ne l’étaient déjà pourraient se marier entre eux. Ou vivre ensemble. Ou aller voir la feuille à l’envers quand bon leur semblerait.
Le dimanche serait consacré à la prière ou à toute autre manière de rendre grâce au Seigneur de ses dons (bombance et sieste crapuleuse étant une manière manifeste de montrer qu’on les appréciait).
Le Sire de La Riche-Motte et Dame Guenièvre auraient droit aux titres de Père et Mère**. Titres purement honorifiques, les frères et sœurs prenant les décisions concernant la communauté à la majorité absolue.
D’abord par dizaines, et bien vite par centaines, les affranchis affluèrent, défrichèrent, s’installèrent et prospérèrent. Ainsi s’établit, dans ce qui allait devenir bien plus tard le territoire de la commune de Saint-Marcelin une petite société joyeuse, laborieuse, volontiers bringueuse et paillarde.

* Ça ne peut pas s’inventer!
** Ils auraient préféré abbé et abbesse, mais Rainier préféra qu’on traduise trouvant cette communauté pas très catholique et pas vraiment monacale. N’importe comment, au fil des ripailles, tout le monde finit par les appeler par leurs prénoms.

samedi 5 octobre 2013

Traduttore, traditore !



Des difficultés de traduire (renseignant au passage sur deux points peu connus de la civilisation cockney qui vous permettront de briller dans les salons )...


Le dernier Robert Rankin m’est arrivé voici quelques jours et bien entendu aussi vite déballé aussi vite entamée sa lecture. Afin de la faire un peu durer, je l’alterne avec celle des chroniques littéraires que j’étais en train de lire avec plaisir.

Un de mes rêves ayant jadis été d’apporter aux Français qui les méritent les joies qu’occasionnent les hilarants romans de celui qui a créé un genre dont il est le seul représentant, mélange d’ésotérisme, de science-fiction victorienne et de fantasy moderne le tout parsemé de running jokes et de plaisanteries de garçon de bains. Aussi le lis-je en m’efforçant de trouver des équivalents français à certaines expressions. J’en prendrais deux exemples.

Un des personnage demande à son interlocuteur : « are you having a gi-raffe ? » ce qui laisse ce dernier pour le moins perplexe. Cette phrase ne veut strictement rien dire, sauf à savoir que le personnage étant un cockney (Londonnien de l’East End normalement né dans à portée d’oreille des cloches de l’église de Bow) il s’agit de rhyming slang. Cet argot rimé fonctionne ainsi : on remplace le nom commun anglais (ou argotique, ce qui n’arrange rien) par un couple de noms communs ou propres dont le deuxième rime avec le mot remplacé. Des exemple peut-être ?  Apples and pears (pommes et poires)  = stairs (escalier) ; saucepan  lid (couvercle de casserole) = quid (Livre sterling en parler populaire). Ainsi  gi-raffe rimant avec laugh (rire et ici moquerie) l’expression veut-elle dire « Vous vous moquez de moi ? ».

Vu que l’argot rimé n’existe pas en notre langue, comment rendre cette situation ? On pourrait passer au louchébèm mais vu que le personnage n’est pas boucher et qu’il serait curieux qu’un cockney le pratique, on trahirait grossièrement.

Autre problème. Le roman raconte les aventures d’un singe parlant (et écrivant vu qu’il s’agit d’une autobiographie) nommé Darwin qui poursuit à travers les époques en compagnie du détective Cameron Bell  un redoutable criminel lui aussi doté d’une machine à voyager dans le temps et dont le but n’est pas seulement de devenir le maître du monde (ambition somme toute assez commune) mais de TOUS les mondes et de tous les temps. Ce super-méchant a l’intention de devenir « Pearly emperor » (vu que les Cockneys ont leurs « Pearly kings »). Un «Empereur nacré » ? Des « rois nacrés » ?  On consulte son Harrap’s French Dictionnary , Unabridged edition, et l’on apprend qu’un « pearly king (ou queen )» exerce la noble profession de marchand des quatre saisons avec la particularité notable de porter des vêtements ornés d’une multitude de boutons de nacre.
Voici à quoi ça peut ressembler :




Et si ça s’arrêtait là ! Mais pour tout arranger,  à la fin du XIXe siècle , un balayeur nommé Henry Croft qui s’était donné pour mission d’aider son prochain en collectant des fonds pour plus pauvre que lui, eut l’idée de copier le costume des marchands ambulants afin de mieux attirer l’attention et les aumônes . Son exemple fut suivi et, en 1902 apparut la première société de « Pearly kings and queens » quêtant en faveur de bonnes œuvres vêtus de costumes inspirés de celui du précurseur. Ces sociétés perdurèrent et se divisèrent au fil des conflits. Voici la photo de groupe de l’une d’elle : 

Noice an' original, init mate ? (Restons cockney !)



Tout ça est bel et bon, mais pour revenir à notre « Pearly Emperor », comment le traduire ?  Impossible, non ? Au niveau des connotations, « l’empereur nacré » ne renverrait ni aux marchands des quatre saisons ni aux sociétés charitables quant à « super-marchand des quatre saisons » à part être ridicule…

Le traducteur sera donc contraint d’inventer un nom au monstre, lequel ne sera au mieux porteur que d’une partie des connotations originales. Sa trahison aura-t-elle la même force que le terme Rankinien ? On peut en douter…

Décidément la paronomase italienne qui m’a servi de titre est on ne peut plus vraie : traduire c’est trahir. Mais puisque c’est le prix qu’il faut payer pour rendre accessible à ceux qui ignorent telle ou telle langue une œuvre inconnue,  souhaitons que de talentueux traitres continuent de tricher.

ULTIME PRÉCISION : Pour ajouter à la complexité du rhyming slang, il arrive, lorsque aucune ambiguïté  n'est possible, on fasse sauter le second mot. Exemple :  Butcher's hook (croc de boucher)  = look (coup d'oeil).  On fait sauter hook et on obtient : Let's have a butcher's = Let's have a look = jetons un coup d’œil.

vendredi 4 octobre 2013

Le libraire et Amazon (Fable parlementaire)



Vous êtes venu dans la boutique pour acheter Fous -la moi bien à fond, gros salaud ! Hélas, ils n’ont plus ce chef-d’œuvre en rayon !  L’engouement fut trop grand... Qu’à cela ne tienne, le libraire sonde vos reins, vous évalue, vous cerne, apprend au fil d’une conversation à bâtons rompus à connaître votre moi profond. En remplacement, il vous propose, si vous êtes de nature rigolarde la Critique de la raison pure du vieil Emmanuel. Un bouquin à se pisser dessus ! Si vous êtes d’humeur badine, il y a Le Partage de midi de Claudel. Seriez-vous homme (ou femme) à n’aimer que les ouvrages sérieux ?  Le dernier opus de Lafesse vous tend les bras (à moins que ce soit le dernier de Lebras qui vous tende la fesse). Le libraire, comme le livre qu’il révère  «est ta richesse à toi ! c'est le savoir, Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,Le progrès, la raison dissipant tout délire » comme disait ce vieux con d’ le grand Hugo. Que serais-tu sans lui ?

Et voilà qu’il est en péril ! Un monstre qui préfère payer le gros de ses impôts au Luxembourg plutôt qu’en France (allez savoir pourquoi ?) menace sa survie par des pratiques cauteleuses.

Dans sa grande sagesse, afin de sauver le peu de libraires qui restent, une proposition de loi vient d’être adoptée par l’Assemblée Nationale, droite et gauche enfin unanimes,  tendant à contrecarrer les tristes manigances de la pieuvre Amazon. Que faire, sinon s’en réjouir ? Voilà des gens qui, sans vergogne, à un prix réduit et dans des délais très courts faisaient parvenir les livres de votre choix dans votre boîte à lettres sans que vous n’ayez à vous déplacer pour la commande ni pour, après de longs délais, aller chercher l’ouvrage convoité. Ils l’expédient  même, en cas de cadeau, au destinataire de votre choix. Quelle honte !

Je veux bien qu’un amateur de livres rares puisse aimer à farfouiller dans les bacs avant de trouver, au fond, chez un libraire spécialisé, la perle qu’il cherchait. Reste à savoir si cette perle ne se trouverait pas, en quelques clics, sur un site du Net. Oui mais, le lien social, le sensuel toucher de l’objet, la délicieuse poussière qui monte des rayons, le doucereux sourire du commerçant humant sa proie, qu’en faites-vous ? Eh bien, je suis honteux de vous l’avouer, mais je m’en tape, à le fracasser, le proverbial coquillard. Parce qu’à part L’espace culturel Leclerc, dans un rayon de vingt kilomètres autour de chez moi on chercherait en vain un commerce qui propose plus de vingt livres totalement dénués d’intérêt.  Parce que ce même « Espace culturel »ne propose pas grand-chose. Parce que faire plus de cent de kilomètres pour bavarder avec un libraire sinon inculte du moins pas si culte que ça m’intéresse autant que d’assister au concours du plus grand bouffeur d’andouille.

Alors, prix du port ajouté ou pas, je continuerai d’acheter mes livres sur Amazon. Si les libraires en meurent, j’en suis navré pour eux. Il leur arrive ce qui survint aux exploitants et fabricants de diligences quand se développa le rail. C’est triste, certes, mais surpayer un « service » obsolète et inadapté n’attire que peu de monde. Quant à penser que cette proposition de loi changera profondément les données du problème, il faut avoir la grande hypocrisie ingénuité de notre représentation nationale pour simplement l’envisager.

jeudi 3 octobre 2013

Escroquerie



Réjouissez-vous, Français ! Vous serez bientôt  en mesure de savoir à qui vous devez votre existence en tant que membre d’une nation. Un ouvrage va vous l’enseigner :



Ce titre me paraît être d’une rare malhonnêteté. Je ne reviendrai pas sur l’histoire des diverses vagues d’étrangers (invasions, immigrations) qui au fil des siècles sont venus s’amalgamer à une population préexistante, je renverrai au récent billet de Michel Desgranges qui en trace les grands lignes comme il souligne avec justesse que lorsque commença l’immigration de masse, la France était déjà FAITE et ce depuis belle lurette.

France Inter, Radio de Service Comique ™, se devait de saluer un tel ouvrage. Salut qui lui permettait au passage de cirer les pompes de notre cher M. Valls, lequel s’y voit consacré une entrée et avait tenu à participer à son lancement, hier, au Musée de l’histoire de l’immigration (ce qui m’a au moins permis d’apprendre l’existence de ce musée).

L’historien Pascal  Ory qui dirigea la réaction du dictionnaire rappela le fameux chiffre selon lequel  au moins 25% des français ont des ascendants étrangers. C’est très bien. Mais ça dit aussi que 75% n’en ont pas. Et puis surtout la question n’est pas là.

Ce qi me semble important est de corriger le titre. Ces étrangers n’ont pas FAIT la France : celle-ci leur préexistait. Loin de nier que certains d’entre eux aient participé à sa richesse intellectuelle comme économique, que ce soit à un humble ou éminent niveau, on est en droit de se demander si, de son côté,  la France n’a pas de son côté apporté à ceux qu’elle accueillait un refuge ou un cadre où leur talent a été à même de mieux se développer  que ne le leur aurait permis leur pays d’origine.

Je vois sur la couverture du dictionnaire bien des visages connus. Mon cher Roman Kacew, allias Romain Gary, allias Émile Ajar, que serait-il advenu de lui, si sa mère, amoureuse de la France, ne l’avait emmené loin de sa Lituanie d’origine ?  M. Picasso aurait-il pu, dans l’Espagne devenue franquiste, exercer son talent avec autant de liberté ? Mme Curie aurait-elle bénéficié dans sa Pologne natale des mêmes facilités pour poursuivre ses recherches ?  M. Zitrone aurait-il si bien commenté les mariages princiers sous Khrouchtchev ou Brejnev ; y aurait-il été à même d’animer Interkolkhozes ?  Sans vouloir rabaisser  la Belgique et la Suisse, on peut se demander  quelle aurait été la gloire de MM Cendrars et Simenon sans la « caisse de résonnance » que constitua la France pour leurs écrits. L’Amérique ségrégationniste aurait-elle permis en 1925 à Joséphine Baker de connaître le même succès?  Et un Aznavour chantant en Arménien, ça l'amènerait où ? Et cetera…

A un humble niveau, les polonais, les belges, les siciliens qui descendirent en nos mines l’ont-il fait par pure bonté d’âme ou parce que notre pays leur offrait les conditions d’une vie meilleure ?

Ces gens n’ont pas FAIT la France. Ils y ont trouvé un cadre où s’épanouir. Leur talent, si immense ou si humble fût-il, y trouva la possibilité de s’y développer parce qu’y existait un terrain fertile. Si la France leur doit beaucoup (mais pas TOUT comme pourrait le laisser croire un tel titre), leur dette vis-à-vis d’elle est à proportion.

N’importe comment, ces illustres (ou anonymes) aînés ne voient exalté leur mérite que parce qu’ils servent à justifier les discours modernes de ceux qui, pour des raisons qui m’échappent ne trouvent à TOUTE immigration et quel que soit son nombre que qualités et avantages.