..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

mardi 20 décembre 2011

Point trop n'en faut ?



Il a frappé, est entré dans la classe après que je l'y eus invité, m'a salué, puis a promené son regard sur les élèves. Du doigt, il en a désigné plusieurs, leur demandant de le rejoindre. Dans un premier temps, je pensais qu'il s'était passé quelque chose de pas vraiment bien et qu'il était là pour recenser les présumés innocents. Lesquels devaient phosphorer à vitesse grand V, se demandant laquelle de leurs turpitudes avait été éventée. Il n'en était rien. Il rassura rapidement les chers enfants en leur annonçant que c'était pour une photo. Après s'être excusé du trouble que ces prélèvements occasionnaient à mon cours et m'avoir assuré qu'il ne durerait que quelques minutes, le directeur adjoint de la Maison, car c'était lui, s'éclipsa en compagnie des chères têtes blondes. Car, figurez-vous, blondes, elles l'étaient, ces chères têtes. Bleus étaient leurs yeux.

J'appris plus tard la raison de cette sélection. 

La "Maison pour jeunes en grande difficulté" appartenait et appartient toujours, à une fondation bien connue dont les appels aux généreux donateurs font l'objet de campagnes publicitaires. Et c'est là que le bât blessait. Figurez-vous que certains généreux donateurs étaient irrités. Emportés par leur ire, certains avaient même, argument à l'appui, décidé de cesser de donater. Face à la gravité de la situation, réagir s'imposait.

La raison de leur ire était la suivante : ils trouvaient que, sur le calendrier qu'on leur envoyait pour accompagner l'appel au renouvellement de leur générosité, la France plurielle, diverse, solidaire et unie était, comment dire... sur-représentée et qu'ils n'étaient que moyennement, voire pas du tout, enclins à entretenir par leurs subsides les dits "divers".  J'édulcore. Bien sûr, il ne s'agissait pas d'une majorité, mais tout don, même le plus humble, étant bon à prendre y renoncer relèverait de la mauvaise gestion. 

C'est ainsi que, suite à une sélection ethnique rigoureuse, les groupes figurant sur le calendrier ne laissèrent plus qu'une place discrète à la diversité. Place indispensable cependant car l'ouverture à l'"autre", tant qu'elle reste l'imitée est un argument de marketing payant.

lundi 19 décembre 2011

France, pays de jouvence !




Encore un petit portrait. Je ne sais pas si ces textes intéressent. Bavard compulsif, les gens que je rencontre ont tendance, face au flot de ce qu’ils prennent pour des confidences,  à laisser échapper un mince filet de détails intimes contenant parfois des pépites. Je parle de ces petits riens, de ces accidents cocasses ou  dramatiques, de ces ironies du sort  qui rendent la vie de ceux qui les ont vécus originale.  C’est le cas d’Yvonne.

En 1989, j’ai touché le fond. Ruiné, seul, sans feu ni lieu, sans projets ni avenir visible, je traînais ma déprime entre un stage de commerce international et mon ex-foyer afin d’y voir ma fille. C’est alors que j’ai rencontré  Yvonne. Elle tenait un modeste stand de plats vietnamiens à emporter aux halles de Châteauroux. Allez savoir pourquoi, Yvonne se prit d’amitié pour moi. Elle me trouvait gai, souriant et enjoué. Il faut croire qu’alors que je contemplais, morose, les ruines de mon petit monde, je devais avoir l’air moins sinistre que le castelroussin de base au summum de sa félicité. La vie est faite de malentendus.

Yvonne était un personnage. Souvent absente de son stand, elle passait son temps à jouer au billard dans le troquet d’à côté. Pour être servi, il fallait aller la chercher. Autre détail original : elle fumait des cigarillos. Notre amitié n’était pas sans avantages. Quand j’allais faire mes courses chez elle, pour une somme dérisoire, je revenais chargé de tout un tas de mets savoureux copieusement servis. Quand mon ex-femme ou l’amie chez qui nous mangions souvent allaient  s’y fournir, les prix et les portions n’avaient rien de comparable. J’étais donc préposé aux achats de plats exotiques.

Nous allions parfois boire un coup au café et nous nous racontions nos vies.  Sa vie, à Yvonne, n’avait rien d’un long fleuve tranquille. Ni plus ni moins que celle de tous les sino-vietnamiens qui ont eu à traverser  les guerres qui ont déchiré son pays d’origine des décennies durant, je suppose. Je passerai sur les exploits des héros communistes coupant les doigts des chinois qu’ils exécutaient afin de récupérer leurs bagues, sur son refus de payer la rançon que le gouvernement démocratique réclamait pour libérer son mari, ex-officier dans l’armée du sud, et qu’elle trouvait disproportionnée à la valeur du bonhomme… Parmi tant d’anecdotes oscillant entre l’horrible et le sordide, il en est une plutôt cocasse qui concernait son âge.

Du temps de l’Indochine française et après l’indépendance du Viet-Nam, il était possible, sous certaine conditions,  d’opter pour la nationalité française, pourvu qu’on le fît avant ses 18 ans. Ignorant ce détail, Yvonne se présenta au bureau ad hoc afin d’y acquérir une nationalité qui pourrait s’avérer utile à l’avenir. Innocente, elle déclara son âge réel. Il lui fut signifié que pour elle, c’était trop tard. Yvonne ne se laissa pas décourager pour autant. Avec une patience toute asiatique, elle attendit que le fonctionnaire qui l’avait rebutée quittât son poste. Cela prit plusieurs années, après lesquelles elle fit de nouveau  acte de candidature. L’état civil étant probablement un rien erratique en ces contrées, elle se présenta au remplaçant comme ayant 17 ans et obtint satisfaction.

En devenant française, elle perdit au moins cinq ans. Comme quoi il est possible de rajeunir considérablement sans le moindre appel à de coûteuses crèmes de beauté…

Seulement, toute médaille a son revers : quand je l’ai rencontrée, il arrivait à Yvonne de regretter d’être contrainte de continuer de gagner sa vie alors qu’elle avait dépassé, depuis quelque temps déjà,  l’âge de la retraite. On ne peut pas tout avoir.

dimanche 18 décembre 2011

Pour le droit de vote aux étrangers !



Hier soir, l'excellent Appo Appas, dont le blog à l'humour un rien déjanté réjouit quotidiennement mes zygomatiques, me fit l'honneur de déposer une commentaire au pied d'un de mes texticules. Ayant remarqué que je relayais la pétition de la Droite Populaire appelant à dire non au vote des étrangers, le bon Appo me fit part de son inquiétude :"N'étant pas opposé au droit de vote des étrangers, puis-je néanmoins continuer de fréquenter, en immigré occasionnel, ce blog ? Merci pour votre aimable réponse." Mon aimable réponse ne se fit pas attendre. Étant d'humeur badine, je lui répliquai : " Votre position me paraît un peu timide. Ne pourrait-on pas envisager de réserver le droit de vote aux étrangers ?" Je croyais plaisanter.

Depuis, la nuit qui, comme l'on sait, porte conseil a passé. Et au réveil, ce que je considérais comme une ironique provocation m'apparut clairement pour ce qu'elle était : une mesure d'élémentaire justice. J'entends déjà les cris d'orfraie de ceux de mes lecteurs qui appartiennent au camp du MAL (si, si, il en est!). L'absence de réflexion, cette plaie d'une société du divertissement, étant à l'origine de leurs errances, j'aimerais leur montrer rapidement la logique de ma nouvelle  position.
Toute personne cultivée et objective le sait :

  • Les étrangers ont construit la France : Le pont du Gard, le Mont Saint-Michel, le gazomètre de Bezons,  les cathédrales, Vaux-le-Vicomte, Versailles, les cités de la Courneuve, etc.
  • Les étrangers ont sauvé la France en 39-45, en 14-18, en 1870, pendant la guerre de cent ans, etc.
  • Les étrangers paient leurs impôts.
  • Les étrangers sont doux, pacifiques et ne rêvent que de couler des jours heureux dans ce pays pour lequel ils ont tant fait.

Examinons maintenant le cas des français :
  • Pendant que les étrangers construisaient les merveilles qui attirent par millions les touristes du monde entier vers la France (des étrangers, encore, notons-le au passage!) ils jouaient à la belote au bistrot en buvant des canons de rouge.
  • Protégés par les valeureux étrangers, planqués à l'arrière, ils se gobergeaient, s'enrichissaient en spéculant honteusement.
  • Ils fraudent le fisc et planquent leurs sous en Suisse.
  • Ils n'ont tout au long de leur histoire fait que porter honte et désolation sur toute la planète : croisades, hôpitaux, esclavagisme, écoles, colonisation, chemins de fer et plein d'autres vilaines choses généralement tournées contre les étrangers.
Ces évidences devraient amener toute personne raisonnable à rejoindre mon point de vue : ayant au fil des siècles, par leur paresse, leur pleutrerie, leur avarice, leur cruauté (et j'en oublie forcément)  montré leur profonde indignité, les français ne méritent pas de participer à la démocratie, système qui ne peut se concevoir que pratiqué par des êtres vertueux. En revanche, les étrangers, eux, présentent depuis toujours les garanties morales et civiques susceptibles de rendre le système démocratique viable.

Serait-il nécessaire d'exiger des étrangers, afin qu'ils votent en France, un temps de séjour minimal dans notre pays ? La réponse est bien évidemment NON. Ce serait discriminatoire. Tout étranger, où qu'il vive, à condition qu'il soit en mesure de prouver qu'il n'est pas citoyen français a le droit de vote en France. Cela exclurait cependant les ressortissants de l'Union Européenne lesquels ne sont pas suffisamment étrangers.

Voilà. 

PS : Pauvre sens et pauvre mémoire m'ayant Dieu donné le roi de gloire, je suis infoutu de supprimer le honteux appel  de la Droite Populaire qui défigure le coin supérieur gauche de ce blog vertueux. Je ne suis donc pas, à ma courte honte, en mesure d'empêcher les inconscients qui voudraient aller la signer de le faire. Veuillez m'en excuser.

samedi 17 décembre 2011

Le temps, quand il ne le tue pas, peut renforcer l'amour...





C’est Samba N’Diaye qui m’a fait connaître la Mère Thibaud. C’était une solide métisse qui avait dû être belle un jour, mais ce jour datait. Elle tenait un petit bistrot-restaurant à Thiès où Samba m’avait emmené dîner ou déjeuner, je ne sais plus tant le jour de notre première visite nos libations furent abondantes. Nous y retournâmes plusieurs fois. L’ambiance était sympathique et, n’étant pas trop dérangée par les clients, la patronne nous accordait tous ses soins. La cuisine était acceptable, sans plus.

A notre deuxième visite, j’eus l’honneur d’être présenté au Père Thibaud. Car père Thibaud il y avait. C’était un français, retraité des chemins de fer. Vieux, très vieux, gâtissime même, il ne bougeait pas de son fauteuil et encore moins de la pièce fraîche où on le tenait. Il ne parlait plus.

Samba me raconta l’histoire du couple. La mère Thibaud, alors  que sa jeunesse agitée  commençait à se flétrir, décida de faire une fin. Et cette fin incluait le Père Thibaud, déjà  vieux. Il avait une trentaine d’années, bien tassée, de plus qu’elle. Elle l’épousa donc se disant que le bon vieux, pas très solide, ne tarderait pas à passer l’arme à gauche lui laissant une pension de réversion très substantielle pour le pays.

Miracle de l’amour, au lieu de prendre le chemin du paradis, le brave homme retrouva sa jeunesse et lui fit un enfant.  Le temps passa, l’enfant grandit, sa mère vieillit, Thibaud dépérit. Lorsque je les rencontrai le bambin était bien engagé dans la vingtaine. Et il ne faisait pas grand-chose. Rien, pour être précis. Du coup, de pressée qu’elle avait été de se vautrer dans les délectations moroses du veuvage, la Mère Thibaud était progressivement revenue à de meilleurs sentiments : cloué dans son fauteuil, le pauvre vieux ne risquait pas de dépenser la moitié de la pension qui partirait avec lui. Il devint donc l’objet des soins attentifs et empressés de sa petite famille : plus il durerait, moins le besoin la menacerait.

On peut gager que le jour où, malgré les attentions dont on l’entourait, le Père Thibaud rendit l’âme, il fut amèrement regretté.

vendredi 16 décembre 2011

Evaluation des profs : LA solution.


Pour en finir avec le débat qui occupe les français (et ceux qui, sans être français, n'en sont pas moins le sel de notre terre) je vous apporte LA solution. Le processus serait d'ailleurs en marche en Angleterre. Les plus observateurs d'entre vous me reprocheront d'utiliser la même illustration que pour un billet précédent. Que voulez-vous, je ne me lasse pas des bonnes choses...

Si l’évaluation  des professeurs ne peut être opérée par leurs chefs  comme c’est le cas pour les autres fonctionnaires et que l’on supprime l’inspection, qui  sera à même de les noter ?

La réponse est simple : les élèves . Ils sont en position de noter les failles d’un enseignant comme ses points forts.  A part que ça peut poser des problèmes, par exemple  au niveau de la petite section de maternelle. Des enfants de deux à trois ans ont-ils la maturité nécessaire pour juger de la valeur pédagogique de leurs enseignants ?  Il est de notoriété publique  que les jeunes de maintenant sont beaucoup plus mûrs que nous ne l’étions à leur âge, mais quand même…  A partir de quel niveau devrait-on commencer ? Collège ? Lycée ?  La préadolescence et l’adolescence sont des âges émotionnellement  fragiles. Ne risqueraient-ils pas de mélanger l’affectif et l’objectif ?

Non mais, c’est pas fini ces pinaillages ? Le progrès ne s’embarrasse pas de  détails. Ceux qui  critiqueraient la notation par l’élève sont, comme moi, des rétrogrades.

Je m’explique : au temps lointain de ma jeunesse, les institeurs et les professeurs n’étaient pas spécialement sympathiques ou attentifs à nos états d’âmes. Je les soupçonnerais même d’avoir souvent considéré les ouailles qu’on leur confiait comme une bande de petits sauvages dont il fallait tâcher d’endiguer  les débordements et  auxquels ils se devaient d’inculquer un minimum de savoir, de méthode et de discipline.  Je ne me souviens pas de beaucoup de mes enseignants.  A part une qui a assombri deux années de mon enfance et un autre qui m’a donné le goût des lettres, je serais bien en peine de trouver parmi eux des gens qui m’aient marqué autrement qu’en m’enseignant une syntaxe et une orthographe passables sans oublier de m’apprendre à compter et accessoirement à aborder tout problème avec un minimum de logique. Bref, les bases qui permettent d'aller plus loin si on le souhaite. Ce qui n’est déjà pas si mal. Il semblerait même que ces objectifs un peu basiques soient de plus en plus difficiles à atteindre malgré des effectifs plus réduits, des moyens nettement plus conséquents et un niveau de recrutement souvent supérieur. Vous me direz, c’est l’évolution de la société, les jeunes ne sont plus les mêmes ;  la crise, le réchauffement global, la piéride du chou et tout ça font que.  Et vous aurez raison.

Un bon prof, de nos jours, donne de bonnes notes à tout le monde, il est sympathique, gentil, attentif. Il sait amuser les jeunes et leur organise des activités aussi agréables qu’inutiles au progrès de leurs savoirs.  Il les aide à s’épanouir et à se sentir bien à l’école même s’il ne leur enseigne rien ou pas grand-chose. Ça suffira toujours pour rentrer à Sciences-Po Paris. Il y a certes encore  quelques mauvaises têtes, des récalcitrants, des qui continuent contre toute raison à vouloir inculquer des connaissances et établir une hiérarchie entre les cancres et les bons éléments. Eh bien justement : une notation par les élèves les ramènerait vite à plus de discernement.

Certains avanceront qu’on pourrait peut-être aussi demander leur avis aux parents.  Ils plaisantent ! Dans une société moderne, les parents font ce que leurs enfants leur  disent.

jeudi 15 décembre 2011

Sauvons nos inspecteurs !



Aujourd'hui, le pays est paralysé, ou du moins mériterait de l'être, par une grève, celle des professeurs qui refusent d'être notés par leurs chefs d'établissements. Question grave s'il en est. En effet, jusqu'ici tout allait bien. Les enseignants étaient évalués de manière parfaite par un Inspecteur Pédagogique Régional qui passait les voir en moyenne tous les sept ou huit ans. En une heure maximum, l'homme avait, grâce à une perspicacité hors-normes, fait le tour de la question. Il avait ensuite un plus ou moins long entretien avec son sujet d'observation avant de rencontrer le chef d'établissement avec qui il échangeait des impressions. Tout cela débouchait sur une note dont chacun se réjouissait. Le paradis, je vous dis...

Tous les profs vous le diront : la visite de l'inspecteur est une fête. On l'espère, on l'attend. L'impatience monte au fil des ans. Jusqu'à devenir insoutenable. Rendez-vous compte : huit ans, parfois plus, sans bénéficier de cette chaude présence, sans les précieux conseils d'un pédagogue d'exception !

Et voilà que le gouvernement actuel, dont chacun sait qu'il dissimule mal sous une apparence diabolique l'âme d'un monstre veut, dans sa manie de détruire, remettre en question ce merveilleux système !

Ce serait désormais au chef d'établissement de noter. Comment, si ce dernier enseignait auparavant le Bilboquet Moderne, pourrait-il évaluer un prof de Pâte-à-modeler-Macramé, s'insurgent les valeureux syndicalistes ? Il faut un spécialiste pour évaluer ses pairs , bordel de merde !

Et puis il y a le problème de ceux qui ne s'entendent pas avec leur chef. Aussi curieux que ça paraisse, il arrive que certains enseignants n'apprécient pas leur supérieur, lequel le leur rend bien sans qu'on sache au juste qui a commencé.  De même, il se peut que se créent entre ceux-ci des rapports amicaux, voire plus si affinités. Comme partout, il peut également exister des relations déséquilibrées : le prof porte aux nues un proviseur qui ne l'aime pas ou le directeur n'en peut plus d'enthousiasme vis-à-vis des talents pédagogiques d'un enseignant qui ne lui voue que mépris. Comment dans ce cas espérer une notation objective ?

Au contraire, l'inspecteur, lui, cultive l'objectivité comme moi le chou. Et sans piérides, s'il vous plaît. Il est inconcevable que dès la première rencontre s'établisse une sympathie ou une antipathie entre inspecteur et inspecté. De même, le chef d'établissement, lors de son entretien  avec le pédagogue gyrovague, ne saurait influencer ce dernier. L'inspection est pour l'enseignant une garantie de bonheur.

Enfin, et peut-être surtout, que deviendraient, dessaisis de leur mission d'évaluation et de conseil, ces gens d'exception ? Quelle serait leur raison d'être ? Ne verrait-on pas leur nombre décroître ? Comme s'il n'y avait pas assez de misère sur terre ! Voudrait-on réduire à la mendicité un corps d'élite ? Imaginez-vous abordé dans la rue par un punk à chien plus tout jeune qui vous apprendrait que, du temps de sa splendeur, il avait exercé les nobles fonctions d'Inspecteur Pédagogique Régional en Colliers de Nouilles dans l'Académie de Châteauroux-Romorantin...

Pour que ces visions à vous glacer le sang ne se concrétisent jamais, sauvons nos inspecteurs ! Il en va de l'avenir de nos enfants, de la France et partant du monde.

mercredi 14 décembre 2011

In memoriam Samba N'Diaye



J'avais entendu parler de lui par un copain. Ce dernier avait été impressionné de le voir écraser des verres d'un coup de poing sur le comptoir du Canari. Ce simple fait me semblait le rendre digne de rejoindre la bande de bras cassés et, éventuellement, de poings tailladés que je fréquentais alors. Seulement, il me fallut attendre. Ce n'est qu'environ un mois plus tard que mon copain me désigna un petit bonhomme comme étant le casseur de verres. Ce qui me frappa d'abord chez Samba, ce fut son sourire. Franc, bon, ouvert. 

J'appris par la suite pourquoi sa présence à Thiès était intermittente. Ancien sergent de la coloniale, il demeurait dans un village de la côte où il vivait comme il pouvait de son commerce de poisson. Propriétaire d'un bateau et d'un camion, il expédiait le produit de sa pêche sur Dakar, ce qui n'était pas toujours simple. Il fallait compter avec le racket des policiers qui arrêtaient son chauffeursous un prétexte quelconque et immobilisaient le camion, au risque que sa cargaison se perde à la chaleur, jusqu'à ce que le montant offert pour oublier l'"infraction" leur paraisse convenable. Il y avait aussi ses pêcheurs qui avaient la fâcheuse manie d'aller vendre leur pêche dans un port voisin avant de revenir quasi-bredouilles vers lui. Tout cela demandait beaucoup de surveillance...

Pourquoi ne pêchait-il pas lui même ? Pourquoi faire conduire son camion ? Parce qu'il n'avait pas le choix. Samba était français. Ce qui lui évitait de voir sa pension gelée. Mais qui l'empêchait, pour cause de sénégalisation de ces métiers, d'exercer les humbles fonctions de pêcheur ou de chauffeur.

Tous les mois, il recevait, en récompense de ses services militaires passés, un virement de France qu'il s'employait  à aller consciencieusement dépenser en quelques jours de bringue au chef-lieu de région. Il y faisait, selon sa touchante formule "le mauvais garçon" avant de retourner mener une vie plus rangée sur la côte.

Très vite, naquit entre nous une amitié qui allait plus loin qu'une simple compagnie de beuverie. Avec Susan, nous allions le voir au village. Quand il descendait sur Thiès, il ne manquait jamais de nous en prévenir et nous visitait avant que la mauvaise garçonnerie ne l'entraîne trop loin. Je me souviendrai toujours de la visite que nous fîmes à son vieux père à Saint-Louis. Le vieillard était un instituteur à la retraite dont le père avait été capitaine au long cours... Une vieille famille française ! Il ne pouvait s'empêcher de partir d'un grand rire à l'idée que les américains étaient allés sur la lune pour en rapporter quoi ? Des cailloux ! Comme si on manquait de cailloux sur terre ! 

Loin du soudard qu'il pouvait parfois paraître, j'appris à voir en lui en homme sensible, doux, poli, aimable, délicat. Sa carrière militaire, il l'avait faite dans le renseignement...

Revenu en France, nous continuâmes à correspondre jusqu'au jour où... Ma lettre me revint. Marquée du cachet "Parti sans laisser d'adresse". Curieusement, le jour suivant m'en arriva une qui me sembla de sa main. Une fois ouverte, je m'aperçus qu'il n'en était rien. Son ami, le receveur des postes du village, m'apprenait qu'il était mort. Suite à une collision avec un de ces énormes camions des Phosphates de Touba qui roulaient à tombeau ouvert.

Je ne crois pas qu'il existe un ciel. Mais s'il y en a un, je suis certain que, dans sa sagesse, Dieu y aura aménagé un petit coin où Samba pourra, chaque fin de mois, "faire le mauvais garçon".