A deux tiers de siècle, le temps est
venu des bilans, d'évaluer en son for intérieur le poids respectif
de ses succès, ses échecs, ses mérites, ses défauts, ses désirs,
ses réalisations... A soixante-six ans et des broquilles, j'en suis
là. Si le bilan est globalement positif (on fait c'qu'on peut avec
c'qu'on a !) il n'en demeure pas moins qu'en un domaine au moins
l'échec aura été total : celui de la peinture de plafonds.
Combien de fois, le rouleau à la main,
me suis-je lancé le défi de couvrir de blanc immaculé un plafond ?
Je n'ose les compter car ce serait du même coup récapituler nombre
de cuisantes désillusions. Têtu comme mes ancêtres bretons, je ne
suis pas homme à me résigner ou capituler au moindre revers.
Pourtant, à l'automne de ma vie, je me vois contraint d'accepter
l'inéluctable conclusion que j'emporterai dans la tombe le regret
amer de n'avoir JAMAIS réussi à peindre un plafond correctement.
Et pourtant, j'ai tout essayé :
les meilleures peintures, les rouleaux les mieux adaptés, rien n'y a
fait, au lieu d'un blanc uni je finis avec des inégalités de teinte
que toute lumière met cruellement en évidence. Comme si j'avais
omis de passer une deuxième couche ici ou là, comme si je n'avais
pas désespérément tenté d'égaliser le résultat en croisant les
passages de rouleau ! Rien n'y a fait.
Un jour, n'y tenant plus, je me suis
ouvert de ce tourment à un professionnel dans l'espoir ultime qu'il
me révèle le secret du plafond immaculé qu'il venait de peindre
chez sa belle mère, compagne de feu mon père. L'homme commença par
me dire que la réussite d'un plafond était ce qu'il y avait de plus
difficile dans la peinture en bâtiment. Je m'en doutais déjà un
peu. Il m'expliqua qu'il fallait que l'opération fût menée sans
trêve. Pas question de s'arrêter pour fumer une cigarette !
Comme si une telle idée me serait venue ! Qu'il fallait partir
du fond de la pièce pour aller vers la lumière. Que les coups de
rouleaux devaient, se dirigeant vers la fenêtre, venir mourir comme
une caresse... Je mis tous ces conseils en œuvre et terminai avec un
plafond aussi raté que les précédents. Celui de ma cuisine
corrézienne que je viens de louper n'est pas moins pitoyable que
celui du séjour de la même maison.
Lors d'une conversation avec mon
ex-directrice et son époux qui connaissait en ce domaine les mêmes
déconvenues, cette brave femme tenta de nous consoler en disant
qu'il était rare que des invités passent leur temps à examiner le
plafond afin d'y déceler d'éventuels défauts. C'est juste. Je dois
reconnaître ne l'avoir fait chez personne. Il n'empêche que chez
moi, je ne peux m'empêcher de lever vers les plafonds un regard qui
en revient navré.