Pour les bien portants, les non-hypocondriaques, en général
on passe l’essentiel de sa vie sans voir un médecin beaucoup plus d’une fois
par an et encore. De temps en temps, un consciencieux vous fait faire des
analyses. Elles sont parfaites ou presque. R.A.S.
Et puis arrive la cinquantaine et ça se corse. On commence à
vous trouver trop de ci, pas assez de
ça, votre taux de truc est « inquiétant », quand à celui de machin…
Et l’analyse en entraîne une autre, plus fine.
Et ce bouton, là, ça s’rait-y pas un p’tit cancer de la peau ?
Oh, rien de bien méchant, mais quand même… Allez hop ! Chez le spécialiste ! Et
pas de discussion ! Re-analyse. C’était bien ça ! Intervention ! Puis surveillance…
Et le cœur ? Il y a des trucs bizarres… Cette douleur fugace
qui vous scia un soir, ça s’rait-y pas un signe avant-coureur de l’infarctus
qui, vue votre déplorable hygiène de vie, devrait logiquement vous terrasser un
de ces quatre ? Et vlan, en observation ! Une fois bien observé, on
vous colle un traitement à vie. Ne serait-ce qu’à titre préventif. Avec visite
chez le bon docteur pour le renouvellement et chez le cardiologue une fois l’an.
Une crise de tachycardie ? Et toc, que je te colle un appareil qui va te
faire un électrocardiogramme sur vingt-quatre heures des fois que…
De fil en aiguille, on passe de plus en plus de temps à voir
de plus en plus de médecins. Des gens généralement bien élevés et propres sur
eux. Un seul défaut : leur petite fixette sur la santé. Il est vrai qu’un
médecin qui n’en aurait rien à foutre… N’empêche, ils sont lassants :
faudrait pas boire, pas fumer, manger sainement, faire du sport. Et quoi encore ?
Quand ils sentent que, selon vous, leurs bons conseils ils peuvent se les
carrer quelque part, ça les rend maussades. Ils préfèrent les bons petits
soldats, ceux qui qui les prennent pour une seconde maman et qui disent « le médecin m’a interdit les sushis et le lait
de jument fermenté »…
D’un autre côté, le jour où j’ai fait une crise de colique
hépatique, j’étais bien content qu’un chirurgien vienne m’enlever la vésicule.
Quoique, vue l’intensité des douleurs, au bout de dix heures un gars serait venu
me coller un bon coup de bêche derrière les oreilles, je lui aurais également
dit merci…
En résumé, en dehors des urgences, je crois que la prise en
charge médicale d’aujourd’hui est surtout faite pour ceux qui tiennent
absolument à vivre indéfiniment. Ce n’est pas mon cas. Tant que je le pourrai,
j’entretiendrai mes vices. Avec le taux de triglycérides qui me plaît. Des
cancers du poumon, de la gorge, de la langue, de l’estomac, du colon ou de l’AVC et de l’infarctus qui tous me pendent au nez qui gagnera la course ? J’aurais
une petite préférence pour un truc qui me laisse le temps de ranger mon bureau
mais dans le fond je m’en fous. Et n’importe comment, on ne me laissera pas le
choix.
Sans compter qu’une mort accidentelle est envisageable. Qui
dit qu’un chasseur à la vue basse ne me prendra pas pour un lièvre (bien que je
n’en aie pas le bec) ? Qu’une moissonneuse batteuse ne viendra pas, fléau de Dieu moderne, me
moissonner ? Qu’un taureau joueur ne me prendra pas pour une sorte d’El
Cordobes ? Se promener dans la campagne présente tant de risques…