Me voici à trente pages de la fin. Il est temps d’en
tirer les leçons ultimes.
En fait, écrire un chef-d’œuvre de la littérature
mondiale est plus simple qu’il n’y paraît :
· Prenez une palanquée de princes,
comtesses, comtes et princesses
· Affublez-les de noms à coucher
dehors avec un billet de logement afin que s’établisse une heureuse confusion
· Prêtez-leurs des amours, des soucis
et des caractères changeants
· Relatez quelques scènes de la vie
mondaine à Saint-Pétersbourg et à Moscou
· Ajoutez-y quelques autres de la vie aristocratique campagnarde
· Narrez quelques batailles célèbres
auxquelles vous aurez soin de faire participer certains de vos comtes et
princes ainsi que des personnages réels comme Napoléon, le Tsar Alexandre ,
Koutouzov et d’autres de moindre importance
· Concoctez de longs et fumeux exposés
sur ce qui fait l’histoire ou ce qui décide des batailles
· Mélangez le tout
Si vous avez bien suivi la recette, vous devriez
obtenir un chef-d’œuvre tout à fait acceptable. De ceux dont toute personne
dotée d’un vernis de culture a entendu parler, parfois acheté, évité
scrupuleusement de lire et ne parle qu’avec la révérence qui s’impose
Votre chef-d’œuvre ne ressemble à rien ? Il est tout bonnement illisible ? N’en soyez pas trop chagrin : après
tout, il n’y a qu’un Tolstoï et ce n’est pas vous. Il existe de pires
malheurs !