Un jour,
au zoo, l’idée saugrenue d’emmener l’ensemble des cinquièmes passer une semaine en Angleterre germa dans l’esprit ingénu d’une jeune collègue d’anglais. Le projet dut plaire puisqu’il se réalisa. Je fus choisi, avec mon vieil ami D, anglais et ex-militaire dont la conception musclée de l’encadrement se montra bien souvent utile, une jeune collègue et l’initiatrice du projet pour accompagner le convoi.
Un voyage scolaire n’est jamais reposant. Mais emmener une cinquantaine de p’tits gars en car avec quatre accompagnateurs c’est plus que de la témérité. Cette semaine dépassa mes angoisses.
Je passerai rapidement sur le début d’incendie qu’ils allumèrent dans le car, sur la manière peu protocolaire dont nous nous fîmes virer par les gardes du parvis de Westminster abbey, sur les longues marches à travers Londres au cours desquelles ils s’amusaient à ennuyer les vieilles personnes croisées, sur les soirées entrecoupées des coups de fils de familles d’accueil qui nous exprimaient leurs nombreux griefs et déceptions ainsi que sur les pleurs de nos petites collègues quand les événements les dépassaient. Je ne retiendrai que trois moments forts de cette infernale odyssée : la visite au zoo, ma nuit à l’hôpital et le moment des adieux.
Nos p’tits gars semblant intéressés par les bêtes, nous les laissâmes baguenauder à leur aise dans les allées du zoo, leur demandant de nous rejoindre à une heure donnée dans le hall. Tandis que je les y attendais, l’un d’eux vint me demander ce qu’il pouvait acheter avec la monnaie qu’il tenait dans sa main. Visiblement pas grand-chose, lui dis-je au vu de la somme que je comptais pour lui tout en remarquant qu’elles étaient un peu bizarres d'aspect, ses pièces. Nos ouailles rassemblées, nous montâmes dans le car et nous apprêtions à partir quand un agent de la sécurité frappa à la porte tandis que ses collègues entouraient notre véhicule. Une fois dans le car, il nous expliqua que nos petits anges avaient vidé de son argent la fontaine des vœux et que, s’ils ne restituaient pas ledit argent, ils appelleraient la police. On traduisit et alors les fenêtres du car s’ouvrirent et s’en échappa une pluie de pièces à faire rêver un chanteur de cour : nos chères têtes pas-toujours-aussi-blondes-que-ça se délestaient fissa de leur bigaille afin de ne pas se faire prendre les poches pleines de pièces oxydées. Après une première quête dans le car, auprès de ceux qui n’étaient pas près d’une fenêtre, quelques volontaires désignés furent chargés de ramasser, par seaux entiers, les piécettes qui jonchaient le sol autour du car sous le regard soupçonneux des gardes. La sécurité, satisfaite, finit par nous laisser partir…
Un soir, alors que nous nous préparions à une nuit de repos bien méritée, le téléphone sonna et une brave dame affolée m’annonça que le p’tit gars qu’elle hébergeait souffrait de violentes douleurs aux parties. Elle allait l’emmener à l’hôpital mais il lui fallait un interprète. J’acceptai. Je n’aurais pas dû. Si vous ne connaissez pas le service d’urgence d’un hôpital anglais, je ne voudrais pas vous priver de la surprise quand vous en ferez l’expérience. C’est, disons, ...étonnant. Pour faire court, après quelques longues heures d’attente en compagnie du gars qui geignait, nous finîmes par rencontrer un médecin qui m’annonça que le petit s’était, allez savoir comment, retourné un testicule et qu’il fallait l’opérer d’urgence. Au cas où il serait trop tard, l’ablation s’imposerait. Je tentai alors d’appeler le numéro de portable des parents mais, bien entendu, personne ne me répondit. Je me trouvai donc, de facto, responsable légal du gamin ayant à décider de l’opportunité de l’opération. Je ne pus qu’accepter, mais tout le temps qu’elle dura je n’en menais pas large. Un p’tit gars qui se serait réveillé avec un petit quelque chose en moins aurait peut-être été difficilement gérable… Tout se passa bien. Ouf ! Vu l’heure tardive, on me proposa de garder le petit, et, toujours serviable, j’acceptai de rester lui tenir compagnie. On m’offrit donc un lit pliant particulièrement inconfortable et ainsi je pus passer une nuit d’insomnie rythmée par les hurlements de bébés et de jeunes enfants malades qui font le charme ordinaire d'un service de pédiatrie. A côté de moi, le jeune ronflait du sommeil du soulagé…
Tout ayant une fin, même les pires choses, le jour du départ arriva. Les hébergeurs nous ramenèrent nos chers petits. Certains, après nous les avoir déposés, revinrent bien vite. Eh oui, certaines séparations sont difficiles… C’était d’ailleurs réciproque. Quelques p’tits gars, probablement pour garder un objet auquel accrocher les souvenirs de cette semaine mémorable, avaient cru bon, dans leur innocente fraîcheur, d’emporter avec eux quelques petits souvenirs de la famille qui les avait accueillis. Curieusement, les familles en question auraient préféré que leurs souvenirs demeurent purement sentimentaux et venaient donc réclamer qu’on leur rendît les bibelots ou autres pièces d’argenterie selon eux dérobés. Tout le monde n’est pas Monseigneur Bienvenu. C’est dommage mais c’est comme ça. Cerise pourrie sur l’infect gâteau, dans une démarche inverse, un des p’tits gars avait tenu à laisser un souvenir à ses logeurs : n’ayant rien à offrir, le pauvre, avant de refaire consciencieusement son lit, avait copieusement pissé sur le matelas. Les babioles restituées, la propriétaire du matelas dédommagée , nous reprîmes le chemin de Doulce France, les yeux emplis d’étoiles…