L’amitié, c’est un truc de jeunes. Ça laisse pourtant des souvenirs. L’autre jour, j’avais commencé à regarder un film de Chabrol avec Benoît Magimel. Il me sembla me souvenir que cet acteur avait joué dans le film de Philippe. Je googlai pour m’en assurer. C’était bien lui qui tenait le rôle de mon pote dans son récit autobiographique. Et, surprise, je vis qu’un article de Wikipédia lui était consacré. J’allais voir. Il était très court, une simple ébauche disant qu’il avait travaillé comme assistant réalisateur dans les années 70-80 avant de tourner un long métrage en 1992. Et puis plus rien. Disparu des écrans. Que des écrans ?
Philippe, je l’ai rencontré en 1967. Nous étions condisciples en terminale A au lycée de Rambouillet. Il m’avait tout de suite plu. Il était de ceux qui, comme moi, se demandaient ce qu’ils pouvaient bien faire là. Des jeunes un peu (beaucoup ? Passionnément?) paumés qui se cherchaient et qui mirent longtemps à se trouver. Si tant est qu’ils se trouvèrent jamais. Sur quoi peut se baser une amitié ou un amour ? Difficile à dire, surtout quand ils ont disparu, ne laissant que de vagues souvenirs et plus de questions que de réponses sur ce qui pouvait être à leur origine.
Quoi qu’il en soit, proches nous fûmes. Des années durant avant que la vie ne nous sépare. C’est en 93, alors que, de retour d’Angleterre, pas très en forme, plus enclin, suite à une de ces multiples ruptures qui ont jalonné ma vie, à ruminer le passé qu’à envisager l’avenir, que nous eûmes notre dernier contact. J’avais trouvé son numéro dans l’annuaire et mon appel fut transféré dans le Var où il se trouvait. Bien que 18 ans aient passé depuis notre dernière rencontre, la conversation fut amicale, nous parlâmes de chose et d’autres, il me déclara travailler sur un nouveau scénario après le flop total de son film, retiré des affiches après quelques jours. Je lui résumai brièvement toutes ces années sans nouvelles. Nous nous quittâmes après être convenus d’une visite qu’il me rendrait quand il se trouverait dans mon coin où sa sœur possédait une maison. Et puis plus rien. Disparu des écrans. Que des écrans ?
Pourtant que de souvenirs ! Les week-ends de bringue dans sa maison de campagne, avec les sorties au bal après un ou deux grogs au whisky (une chope, deux tiers de whisky, un tiers d’eau bouillante et en voiture pour l’aventure), les bains de minuit dans les ballastières ou personne dans la bande n’aurait été foutu de secourir qui aurait eu un malaise, les rentrées avec des filles plus attirantes le soir qu’au matin, ses visites impromptues autant que tardives suivies de parties de chasse en voiture dans la forêt de Rambouillet ou d’une virée à Orléans, histoire d’y prendre un pot (comme s’il n’y avait aucun troquet d’ouvert à moins de 100 kilomètres), les longues missives échangées lors de mes séjours au Sénégal ou en Angleterre, ses dernières visites à Tours où le cœur n’y était plus vraiment, vu qu’y ayant trouvé l’amour je tendais à me ranger des voitures. Huit ans de fâcheries passagères, de retrouvailles, d’éclipses… Une amitié de jeunesse où il m’arriva de le considérer comme mon mauvais ange (comme si j’avais eu besoin d’un mauvais ange pour déconner!) et où il arriva que mes folies le lassent.
Et me voilà, des décennies plus tard, ne me reconnaissant plus dans nos frasques passées, conscient cependant que sans elles , sans cette amitié, je ne serais pas ce que je suis devenu.