Je ne sais pourquoi mais il se trouve que pour la deuxième soirée de dimanche consécutive j’ai la chance de pouvoir regarder un de mes films préférés. Si on ajoute à ça de bonnes lectures, ce serait me montrer particulièrement ingrat de ne pas remercier la vie pour les somptueux présents qu’elle m’offre sans que je ne lui aie rien demandé.
Comme la regrettable Juliette Gréco, je ne suis pas un fanatique des dimanches ne serait-ce que parce que Mme Kelly et M. Praud, ces fainéants, ne travaillent pas et me privent égoïstement de plusieurs heures d’agréables loisirs. Mes démêlés avec une imprimante récalcitrante et des systèmes de paiement sur le Net peu accommodants eussent fait de celui d’hier une bien morne journée si l’appel de ma fille n’était venu ensoleiller sa grisaille. Et puis, le soir, une bonne surprise me fut faite par M. C 8 : la programmation d’un de mes films favoris, Les Galettes de Pont-Aven ! Un régal !
Bien installé dans un confortable fauteuil club Chesterfield, je pus pour la énième fois me réjouir à la vision des aventures D’Henri Serin, VRP en parapluies de son état avant de tout envoyer balader pour devenir rapin-ivrogne dans la cité des peintres et des galettes au beurre. Un film que seule la France des « swinging seventies » pouvait produire en ces temps de liberté et d’humeur polissonne qui virent ma jeunesse, « [temps]auquel j’ai plus qu’autre galé jusqu’à l’entrée de vieillesse qui son partement m’a celé », comme disait l’autre*. Aux côtés d’un Jean-Pierre plus excellent encore qu’à son accoutumée, une pléiade d’acteurs de qualité y incarnent des caricatures de stéréotypes particulièrement réjouissantes. La pulpeuse Andréa Ferréol dont la prestation dans La Grande bouffe nous fit découvrir les charmes y est parfaite en boutiquière ; Claude Piéplu, pèlerin invétéré que l’on retrouve en fin de film, met sa truculence au service d’une foi profonde qu’il souhaiterait faire partager ; Bernard Fresson en peintre cynique et paillard se surpasse et est à l’origine d’une passion pour le cul de d’une belle Québecoise dont la désertion plongera le pauvre Henri dans la soûlographie ; Romain Bouteille campe avec sobriété un curé plus vrai que nature ; quant à Dominique Lavanant il fallait penser à faire d’elle une improbable prostituée en costume bigouden d’apparat ; enfin, la charmante et douce Jeanne Goupil et son apparence quasi-virginale vient opérer la rédemption du bon Henri et en faire un virevoltant serveur de plage.
Je ne m’appesantirai pas sur toutes les scènes remarquables du film. J’en retiendrai deux, pour des raisons familiales. Le personnage créé par Mme Lavanant m’a rappelé ma mère. Entendons nous bien : ma génitrice, pour des raisons évidentes de religiosité et d’austérité morale n’aurait à aucun prix accepté de se livrer au commerce de la chair, activité dont je doute qu’elle eût d’ailleurs tiré grand profit. Seulement, nées à une vingtaine de kilomètres l’une de l’autre, en Basse-Bretagne, elles avaient en commun l’accent et émaillaient leur discours des mêmes mots bretons. L’autre est celle où, remplaçant au pied levé un chanteur victime d’un accident de Solex, Henri Serin interprète en duo avec Marie le Kenavo (Au revoir en Français) de Théodore Botrel. Il se trouve que cette chanson d’un marin quittant sa promise pour une lointaine mission était celle que mes parents chantaient ensemble lors des banquets de communions, fiançailles et autres mariages comme le voulait la coutume que j’évoquais ici il y a plus de dix ans déjà.
Pour ces raisons (sauf les familiales, bien entendu), je recommanderais à qui ne le connaîtrait pas ou n’en garderait qu’un lointain souvenir de regarder ce joli film.
* En l'occurrence François Villon