J’ai tremblé en entendant ce matin qu’à partir d’aujourd’hui, en tant que personne de plus de soixante-cinq, mon « Passe sanitaire » serait annulé sous prétexte que, comme fait le mauvais vieillard*, je n’avais pas reçu ma troisième injection. Tremblé est un bien grand mot, vu que depuis plus de six-mois que ce précieux sésame me permet de marcher la tête haute comme fait le citoyen responsable* ne m’a en tout et pour tout été réclamé qu’une fois lors de ma visite de l’abbaye de Montmajour. Il faut dire que ce n’est pas moi que l’on verra dans les endroits où l’on danse, ceux où on s’emmerde au spectacle ou ceux où la cuisine est souvent moins bonne que la mienne et où l’on attend longuement entre les plats. J’évite scrupuleusement les trains où, n’importe comment, lors des deux exceptions à cette règle que j’ai connues cette année et qui étaient les premières depuis très longtemps, personne n’a songé à me les demander.
La vie quasi-érémitique que je mène m’a fait passer les périodes de confinement sans en souffrir particulièrement et la seule chose qui, depuis le début de la pandémie, a réellement perturbé mon existence est l’obligation du port de ce foutu masque qui embue mes lunettes, que souvent j’ai oublié de porter au grand courroux des pétochards et qui me valut d’être mis à la porte de certains magasins et autres services (pas très) hospitaliers.
Il faut bien avouer que mon covido-scepticisme n’est pas pour rien dans ces distractions que d’autres mettraient sur le compte d’un gâtisme un peu précoce ou d’une irresponsable rebellitude. Le rebelle s’est depuis longtemps éteint en moi. J’accepte bien des contraintes sans vraiment croire en leur utilité, juste histoire qu’on me foute la paix. Ça n’a rien d’héroïque, je sais, mais les inutiles actes de pseudo-bravoure, je les laisse à ceux qu’ils amusent.
Or donc, c’est avec un relatif agacement, que j’appris ce matin que je me trouvais désormais mis au ban de la société. L’injustice de ce statut de paria me parut patente. Avec peu d’enthousiasme, j’avais fini par prendre, fin novembre avant mon départ pour Toulon, rendez-vous pour ma troisième injection. Ce ne fut pas chose aisée vu que, le gouvernement ayant pris, dans son grand affolement, la décision de réduire à cinq mois le délai entre la deuxième et la troisième piquouse et de ne plus la réserver aux plus de soixante-cinq ans, les prises de rendez-vous dans les centres de vaccination firent que Doctolib fut d’abord submergé d’appels puis, la vague s’étant calmée, que je ne pus obtenir de rendez-vous avant le 23 décembre. Entre temps, il avait été rendu possible de se faire piquouser sans rendez-vous, mais l’idée d’aller faire la queue dans un centre ne me disant rien, je m’en tins donc aux heures et dates convenues.
Ma très relative contrariété calmée, je me rendis sur le site du Service Public idoine et appris, grâce un simulateur, qu’en fait mon « Passe » ne serait annulé qu’à compter du 6 janvier. Je pouvais donc continuer d’être un citoyen responsable sans courir, comme fait le bon mouton*, au centre de vaccination le plus proche afin de conserver ce « Passe » dont je me passe si aisément.
* Petit clin d’œil à M. François Villon dont la disparition inquiétante dans les années soixante du quinzième siècle me fait redouter qu’on ne le revoie jamais.