S’il vous arrive comme moi de regarder « Venez bavasser avec nous, si ça fait pas de bien, ça fait pas de mal » sur Télé Blabla, vous aurez noté qu’afin de mettre un peu de « vraie vie » entre deux chamailleries, on interrompt les débats pour soi-disant savoir ce que pensent les Français sur telle ou telle question. Vu qu’un sondage ça coûte des sous, on a recours au micro-trottoir, c’est à dire qu’au « hasard des rues » on demande leur avis à quelques clampins censés représenter les Français. Leurs opinions divergent, histoire de représenter les divers courants de pensée qui parcourent l’opinion, de faire plus vrai et de permettre à une majorité de chers-téléspectateurs de s’y reconnaître. On apprend ainsi que sur le passe sanitaire il y en a qui sont pour, d’autres contre ou d’autres encore qui y trouvent du bon et du moins bon. On a bien progressé et on peut donc recommencer à se bouffer le nez en toute hostilité.
Seulement, la valeur de ces opinions est très discutable pour plusieurs raisons. Pour avoir une réelle vision de ce que celui (ou celle) qu’on appelait jadis« l’homme (ou la femme) de la rue »* pensent vraiment, il faudrait que ces prises d’opinion soient faites en direct et sans filtrage faute de quoi elles n’ont aucune valeur et ne reflètent que ce que la rédaction considère comme des opinions acceptables.
Le direct apporterait probablement un total renouveau à l’exercice. Par exemple, on s’apercevrait que bien des gens refuseraient de répondre parce qu’ils n’ont pas le temps, pas envie de répondre aux questions des crypto-fachos de Télé Blabla, ou aucune opinion sur le sujet. Parmi ceux qui accepteraient de répondre, il y aurait forcément des gens qui pour cause de surdité ou atteints de malcomprenite aiguë répondraient complètement à côté de la question. Il y en aurait qui se lanceraient dans des discours aussi échevelés qu’interminables que la courtoisie et le désir de vérité interdiraient d’interrompre. D’autres encore, pleins de bonne volonté mais dépourvus d’un minimum de connaissance de notre langue se lanceraient dans des logorrhées incompréhensibles. Cela finirait par renvoyer aux chers-téléspectateurs une bien piètre image d’eux-mêmes !
On comprend donc que Télé Blabla préfère nous donner une version totalement bidonnée de ce que sont censés penser les Français et ne nous montrer que des passants triés sur le volet qui ne représentent qu’eux-mêmes.
Une autre pratique médiatique consiste, dans des contrées exotiques, à n’interroger, faute d’interprète, sur des questions parfois très complexes que les rares personnes parlant plus ou moins bien notre langue et à les faire passer pour les porte-parole d’un peuple entier. C’est alors une sorte de micro-trottoir linguistiquement sélectif, tout aussi inutile et trompeur que sa version courante.
Ne serait-il donc pas sage de mettre fin à cette pratique et de laisser la parole à des gens capables ou supposés tels afin que le vulgum pecus puisse se forger une opinion ? Bien sûr ça irait à rebours de la mode actuelle qui veut que l’on donne la parole à tous et à chacun mais le silence n’est-il pas préférable à l’audition de perroquets qui ne font généralement que répéter ce que leur dictent les media ?
*Pratique qui, enfant, me paraissait un peu curieuse car, suite à ma mauvaise interprétation de l’expression, je ne voyais pas pourquoi on n’interrogeait que des clochards sur les questions politiques. De même, les fréquentes interventions du « garde d’Esso » que je prenais pour un pompiste me surprenaient : pourquoi n’interrogeait-on jamais de gardes-champêtres ou de gardes-barrières ? Contrairement aux enfants d’aujourd’hui, j’étais un peu niais.