En l’an soixante-et-onzième de mon âge, que toutes mes hontes j’eus bues, ne du tout fol ne du tout sage, il m’arrive de penser à la mort en général et à la mienne en particulier. Ça ne date d’ailleurs pas d’hier. Certains cherchent à donner un sens à leur vie. Comme s’il n’était pas évident que la vie a un sens, qu’il est unique et mène en un temps indéterminé de la conception à la mort. Entre temps, on s’occupe comme on peut, on se construit. Il arrive hélas que sur la fin on se déconstruise. C’est compliqué, d’être humain. C’est très larvaire les premières années. Ensuite, que ce soit physiquement, intellectuellement ou moralement, on évolue. Vers un mieux, vers un pire ? Ça dépend et ça se discute.
Certains vouent leur vie à exceller dans un domaine de leur choix. Pourquoi pas ? Il s’agit là, comme disait ce bon Blaise, d’un divertissement généralement innocent. D’autres n’ont que la modeste ambition de survivre, ce qui se défend tant que ça ne devient pas une manie dictée par la crainte irrationnelle du trépas. La longévité, à mesure que la foi religieuse s’estompe, devient pour beaucoup une sorte de palliatif à leur mise en doute d’une vie éternelle.
En fait, je ne suis tenté ni par l’éternité ni par une vieillesse interminable. Je ne suis ni impatient de mourir ni enclin à m’accrocher à la vie à tout prix. A mon pneumologue qui m’agita sous le nez la perspective, probablement séduisante à ses yeux, de pouvoir vivre 120 ans en renonçant au tabac et à l’alcool, je répondis : « Pour quoi faire ? » Quant à la vie éternelle, elle me paraît aussi adaptée à cet être limité qu’est l’humain que peuvent l’être des bretelles à un lapin. Surtout si on y ajoute la conception anthropomorphique à mes yeux puérile et simpliste d’une vie terrestre qui ne serait qu’une sorte de stage destiné à évaluer nos mérites et partant à conditionner une éternité de félicité ou d’atroces souffrances. Comme si la réussite à un test pouvait assurer une vie entière de rêve et son échec une vie de merde.
Ces portes ouvertes étant dûment enfoncées, il se trouve qu’en ce moment on débat au parlement de la « mort dans la dignité ». Délicate question. Comment définir une telle notion ? Certains verront l’inéluctable déchéance physique qu’entraîne le grand âge comme une perte de dignité. D’autres considéreront que seule l’extrême souffrance alliée à l’incurabilité la font perdre. Les partisans de la belle mort, ou euthanasie, sont en faveur du suicide assisté que le désir de mort soit dû à une souffrance physique ou psychique.
Je suis opposé à l’acharnement thérapeutique. J’eus un jour, alors que mon épouse était hospitalisée, une conversation intéressante avec un anesthésiste, rencontré à son chevet et qui ne devait pas être trop bousculé. Je lui signifiai mon acceptation d’une mort inéluctable comme mon refus des inutiles souffrances qu’une sédation pouvait éviter. Il me surprit en me racontant que la sédation était bien tentante mais qu’ayant eu l’expérience de voir un sien confrère en bénéficier c’était loin de constituer la panacée que j’imaginais. Son malheureux ami avait en effet vu ses douleurs disparaître mais, resté conscient, il avait pu assister à la destruction progressive de ses organes par les métastases, durant une longue agonie indolore mais horriblement anxiogène.
Je suis tranquillement installé devant mon écran et je peux donc écrire sereinement que je suis en faveur du suicide médicalement assisté, lequel évite des traitements aussi coûteux qu’inutiles ainsi que des douleurs parfois dues en grande partie aux effets secondaires de ces traitements. Qu’en serait-il si je me trouvais au pied du mur ? Je n’en sais rien car la douleur comme la dégénérescence peuvent occulter toute conscience. Sans compter qu’existe en tout être vivant un fort instinct de survie. Il me semble cependant que refuser une loi qui en offrirait la possibilité à qui le réclamerait est manquer d’humanité. N’achève-t-on pas, par compassion les chevaux, les chats et les chiens inguérissables que pourtant l'on aime?