Le vendredi 21 août, à 13 h 47 pour
être précis, j’eus l’outrecuidance, la légèreté ou
l’inconscience de publier un article intitulé « Privé de
confinement, tu seras ! » . Il faut dire que cette
déclaration péremptoire se basait sur les dires d’un certain E.
M. , homme sage et de sens rassis, qui préside, présidait et
présidera peut-être encore longtemps aux divagation erratiques de
notre Titanic de pays. En ce trente-et-unième jour d’octobre,
force est de reconnaître que je m’avais trompé (je prends des
libertés avec la syntaxe, vu que de libertés, il ne nous en reste
plus beaucoup et que celles-là ne sont sanctionnées par aucune
amende). Confiné tu seras donc et ce jusqu’au énième jour du
mois qu’on verra.
J’avoue
que l’annonce du reconfinement général m’a surpris et que, si
j’étais du genre à parler vulgaire, j’irais jusqu’à dire
qu’elle m’a tout simplement troué le cul. Je m’attendais à
des mesures locales plus ou moins drastiques, mais pas à ça. Je
n’ai pas écouté l’allocution du président, occupé que j’étais
à me taper la cloche dans un joli hôtel-restaurant de la charmante
cité de Chauvigny (Département de la Vienne) par laquelle, revenant
de Corrèze, j’avais décidé de faire étape afin d’y admirer la
citadelle, ses cinq châteaux et sa collégiale romane. J’avais en
fin de matinée signé la vente de ma maison limousine et je m’en
retournai, cœur léger et poches pleines, vers ma pluvieuse
Normandie. Dans la salle, se trouvait attablée une équipe de huit
travailleurs qui, se restauraient au mépris de toute distanciation
sociale et parlaient comme il se doit de leurs histoires de cul. Je
m’enquis auprès du tenancier du contenu du message présidentiel.
D’où surprise.
Le
lendemain, après avoir rapidement visité la cité médiévale (le
cœur n’y était plus), je repris la route. Entre Poitiers et
Neuville-du-Poitou, je croisai par deux fois des convois d’ambulances
du Samu et de camions de pompiers. Il semblait donc y avoir eu
quelque part comme un sérieux accident. Je ne tardai pas à
constater le bien-fondé de ma déduction car la route se trouva
coupée dans les deux sens et, la déviation la longeant, je pus
constater qu’un grave manquement à la distanciation sociale avait
provoqué une collision frontale entre deux véhicules que leur état
rendait totalement non identifiables. Bilan : un mort et un
blessé grave. Autre bilan : trois morts lors d’un nouvel
irrespect de distanciation dans une église niçoise. Ce dernier jour
de liberté s’annonçait mal. Autres constats amusants sur le
chemin : dans un Intermarché je vis que le rayon de papier
hygiénique avait été dévalisé. Je suppose qu’une épidémie de
gastro-entérite provoquera une pénurie de masques… Longeant le
cimetière d’une bourgade voisine, je constatai que ses abords
étaient saturés de voitures : les braves vieux ne voulaient
pas se retrouver avec leurs chrysanthèmes sur les bras...
Rentré
chez moi, je n’écoutai pas M. Castex. J’attendis le lendemain
pour m’enquérir des prescriptions gouvernementales. Ainsi cette
couillonnade d’« Attestation de déplacement dérogatoire »
était rétablie. Elle s’était enrichie de quelques nouveaux
motifs justifiant son emploi. Ainsi, le Petit Chaperon Rouge pourrait
sans problème aller porter une galette et un petit pot de beurre à
sa mère-grand dans le cadre d’un « déplacement pour
motif familial impérieux, pour l’assistance aux personnes
vulnérables ou précaires ». Ça rassure ! En
revanche, le terroriste islamiste se mettrait dans un mauvais cas en
allant égorger ou décapiter s’il s’éloignait pour ce faire de
plus d’un kilomètre et pour plus d’une heure de son domicile. Ça
rassure aussi ! On pourra également « effectuer des
achats de première nécessité ». Pour ceux de deuxième,
troisième ou énième nécessité, je suppose qu’il y aura amende.
Les cartouches d’imprimante appartiennent à quelle catégorie ?
Je pose la question, car en imprimant une vingtaine d’attestations
j’ai épuisé la noire.
Ma
journée se passa en démarches pour résilier assurance et
abonnements d’eau, d’assainissement et d’électricité suite à
ma vente. Je passai également à la banque histoire de répartir mes
nouveaux avoirs sur des comptes non encore saturés et en créer un
autre pour absorber le reste. A six heures trente et à ma grande
surprise, la sonnette retentit. Alors que je croyais que son sens
civique l’en aurait dissuadé, bravant les interdits, l’acheteur
de mon réchaud était venu de Vire le chercher. La tentation de
dénoncer ce mauvais Français fut vive mais ayant égaré l’adresse
de la Kommandantur, j’y renonçai.
Ces
notations parfois cyniques ou amères, ne constituent pas l’ébauche
d’un « Journal de confinement ». Elles ne sont que
l’expression du désenchantement croissant et j’espère passager
que provoque en moi la situation actuelle de notre asile à ciel
confiné. Si elles ne divertissent que moi, ça sera toujours ça de
pris.