Avertissement :
J’ai tenté de relater cet épisode lamentable sur un ton badin.
Seulement, il n’a rien de plaisant. Il est même navrant de
constater que l’on vit au milieu de gens de cette sorte, que l’on
n’y peut rien, que la misère matérielle et morale continue
d’exister et que si elle allait s’installer un peu plus loin de
chez moi ça ne l’effacerait pas pour autant.
A
l’automne dernier, un charmant jeune homme est venu remplacer le
vieux trumeau et son ex-taulard d’amant dans une maison voisine. De
mon jardin, je pus vite constater que ce que je perdais en querelles
de tourtereaux débiles et conversations ineptes était largement
compensé par de nouvelles nuisances : en effet, mon nouveau
voisin, s’il vivait seul hors des visites du jeune enfant que je
supposai être son fils, était de ces amateurs de Rap qui ne
rechignent pas à faire partager leurs goûts musicaux au voisinage.
Vue sa présence constante, il semblait ne pas être assujetti à
cette malédiction divine qu’est le travail. Heureux propriétaire
de deux voiturettes sans permis, il quittait fréquemment son
domicile dans de bruyantes pétarades pour y revenir bien vite avant
de partir à nouveau. Sinon, il s’occupait dans le jardin à
écouter ses airs préférés en sirotant une bière. Bref, un cassos
avait chassé l’autre.
L’actuel
confinement ne semble pas avoir beaucoup changé ses habitudes. Il
continue de se rendre je-ne-sais-où pour en revenir bien vite. J’en
conclus qu’il doit se ruiner en attestations de déplacement
dérogatoires vu qu’il en est aujourd’hui, à seulement dix
heures, à son troisième ou quatrième aller-retour. Il semble que
le petit garçon ne vienne plus. Ses jouets verdissent toujours,
épars, dans la cour. Ses cris ont été remplacés par les
gémissement d’un chien molossoïde suppliant qu’on le laisse
entrer. La nature a repris ses droits dans ce qui fut naguère un
jardin soigné, maintenant jonché d’objets hétéroclites . Tout
va donc bien. Ou plutôt allait bien jusqu’à avant-hier soir.
Dans
la soirée, tandis que je désherbais mes carrés de fraises
j’entendis une voix masculine s’enquérir de la dangerosité puis
du nom du chien. Il y avait donc au moins un visiteur. Comment mieux
lutter contre la solitude qu’impose le confinement qu’en recevant
des amis ? Toutefois, plus tard dans la soirée, j’entendis
des éclats de voix. Quoi de plus naturel au fond ? Au fil des
heures, les packs de bière se succèdent, un mot entraîne l’autre,
le ton monte… On ne peut pas être tous d’accord sur le
traitement du professeur Raoult ou sur certains points de la
philosophie kantienne… Nous ne vivons pas dans un monde idéal.
Cependant, certains bruits fracassants de vaisselle brisée et de
meubles déplacés sans ménagement, commencèrent à m’inquiéter
sur l’issue du débat en cours.
Je
mis le nez dehors et vis une porte s’ouvrir et quatre hommes sortir
sur le trottoir. L’un deux s’écroula tandis qu’un autre,
visiblement irrité se mit en devoir de faire valoir son point
de vue à grands coups de pieds dans le corps de l’homme à terre,
criant qu’il allait « le finir » Les deux autres
tentaient de calmer le jeu, priant « Momo » d’arrêter.
Je décidai prudemment de fermer ma porte et montai à l’étage,
d’où j’assistai à la fin de la dispute. Ses compagnons ayant
regagné une voiture garée de l’autre côté de la rue, le dénommé
Momo, abandonnant son projet de finalisation, les y rejoignit non
sans avoir au préalable brisé une glace d’un des voiturettes d’un
coup de poing rageur. La voiture s’éloigna tandis que mon voisin
se relevait et rentrait à la maison.
Le
voisin d’en face, qui avait assisté à la scène en attribua
l’origine à la boisson, ayant vu plus tôt un des hommes, ne
tenant plus bien sur ses jambes sortir pour soulager sa vessie sur
l’une des voiturettes. Je redescendis et allai me promener un peu
sur le net. J’entendis de nouveau des bruits de bris divers. Il
semblait que le voisin, perfectionniste, ait voulu parachever les
destructions. Puis tout se calma.