Mise en garde : je ne parlerai
pas ici des qualités de cœur du préposé à la distribution du
courrier de mon village mais d'un livre de M. Graham Greene. Cet
article risque donc de lasser.
Je viens de terminer la lecture d'un
excellent roman de M. Graham Greene, intitulé Le Facteur humain.
Pour moi, il s'agit d'un grand roman. Reste à définir ce qu'est
un tel Roman. D'aucun diront que c'est une œuvre de nature à
changer votre vie. Je crains que le meilleur des romans soit bien
moins en mesure d'infléchir le cours d'une existence que ne peuvent
l'être la sclérose en plaques, la démence voire même un
douloureux divorce ou une simple faillite.
Écrire un roman c'est raconter une
histoire. Tous le font. L'histoire peut être plus ou moins complexe,
passionnante, surprenante par ses rebondissement ou ennuyeuse parce
qu'insignifiante ou incapable de susciter en nous le moindre
écho. Admettons que l'histoire soit bonne. Cela suffit-il ?
Certainement pas.
L'histoire est portée par des
protagonistes. Si ceux-ci manquent de cohérence, d'épaisseur, de
chair et d'âme, plus que servir l'histoire, ils lui nuisent. S'ils
prennent le pas sur l'histoire, si leurs états d'âme relèguent
l'action au second plan, lui volant la vedette, le roman devient
« psychologique » et à mon goût lassant.
Le bon roman, selon moi, nécessiterait
donc que des personnages cohérents et vraisemblables accroissent
l'intérêt d'une intrigue et créent en nous l'impatience de
connaître sa suite avec pour corollaire une légère angoisse d'en
voir arriver la fin.
Eh bien, dans l'élaboration de ce
délicat dosage, M. Graham Greene excellait. Je me souviens avoir lu
je ne sais où quelque passage où le romancier anglais expliquait le
côté monstrueux de l'écrivain qui, témoin d'un événement ou
d'un malheur générateur de souffrances ou d'émotions profondes,
plutôt que de ressentir de l'empathie pour les personnes concernées
se contentait de les observer et d'en prendre des notes mentales afin
d'en nourrir son écriture.
De ce point de vue, la « vraie
vie » n'apparaît qu'un matériaux brut à partir duquel le
talent permettra d'élaborer de la littérature. Greene y parvenait
magistralement.
Je ne vous conterai pas l'histoire.
Sachez simplement qu'elle se déroule dans le cadre des services
secrets britanniques et qu'en conséquence elle participe du genre
« thriller ». On y décèle des fuites. Leur auteur, même
si de ci de là d’infimes indices pourraient mettre sur sa voie, ne
sera identifié que vers la la fin du roman et ce n'est qu'à sa toute extrémité qu'on apprendra que le véritable rôle qu'il jouait est bien
éloigné de ce qu'il pensait et des motivations qui justifiaient sa
« trahison ».
Tout cela est porté par des
personnages complexes ou tout en duplicité auxquels le talent de
Greene sait donner vraisemblance et humanité. Mis à part les
dirigeants du service, tous se trouvent enfermés dans la solitude et
l'incommunicabilité qu'implique la méfiance inhérente à leurs
activités. Autant que d'espionnage, ce roman est celui d'une
solitude que rien ne saurait abolir.