J'envie les lecteurs avides ! Je
l'ai été. Ma soif de lecture me poussait, avant même l'école, à
supplier mon frère aîné de lire pour moi. Ce qui, évidemment,
l'ennuyait bien qu'il accédât parfois à mes demandes. Grand
lecteur devant (et peut-être même derrière?) l'Éternel, je crois
qu'à l'adolescence ce fut lui qui, achetant des livres tandis que
mon père n'en lisait jamais et que ma mère se complaisait dans d'ennuyeuses bondieuseries, stimula cette passion.
L'été, à notre maison du bord de
mer, je préférais rester à lire sous ma tente plutôt qu'aller à
la plage. J'achetais une pile de livres de poche et passais la
journée à lire, parfois plusieurs ouvrages par jour. Mes lectures
furent désordonnées. Après une période Simenon vers onze douze
ans, je me pris de passion pour les romans d'aventures. Dire que je
comprenais tout serait exagéré. Je me souviens même, lisant
Germinal en mon âge tendre, avoir pensé que la maîtresse
d'un des fils était son institutrice ! Mais qu'importe ?
Le livre était pour moi comme une porte de secours battant sur
les étoiles, pour citer Ferré.
Une échappatoire vers un monde moins terne que celui où je
m'ennuyais. Cette passion fut plus qu'un feu de paille. Mais, comme
bien des choses, le temps l'a affaiblie à mesure que d'autres
occupations s'y substituaient.
Le
temps est loin où j'attendais presque tout du livre. Sagesse,
connaissance de l'âme humaine, savoir, dépaysement. Peut-être me
suis-je si bien réconcilié avec la vie que le besoin se fait
moindre d'en sortir ? Peut-être suis-je devenu exigeant ou blasé
au point que peu d'auteurs trouvent grâce à mes yeux ?
Peut-être aussi que, mon sens de la dérision s'exacerbant, je ne
supporte plus que les livres légers ? Toujours est-il que, ces
dernières années, seuls quelques auteurs m'ont vraiment rendu le
goût de lire. Avec gloutonnerie, allant jusqu'à la
quasi-indigestion, je me suis tour à tour empiffré de Terry
Pratchett, de Robert Rankin ou de P G Wodehouse. Tous trois Anglais
et humoristes à leur manière originale. Je lis bien de ci de là
d'autres livres mais je transgresse de plus en plus la loi que je
m'étais fixée de terminer tout livre commencé. S'il faillit à me
donner une fringale de connaître la suite, j'abandonne l'ouvrage.
Le
temps où je n'aurais su concevoir un jour sans lecture est révolu.
Cuisine, bricolage, jardinage sont, entre autres, venus s'ajouter à
mes intérêts. Maintenant, c'est une journée sans une quelconque
activité manuelle qui me paraît perdue... Je continue cependant de
ressentir une certaine envie quand j'entends ou lis quelqu'un décrire
ses enthousiasmes vis-à-vis de livres qui me sont tombés des mains
ou que je n'ai aucune envie de découvrir. Regret d'un paradis
perdu ? Peut-être mais qu'importe si j'en ai découvert de
nouveaux ?
Tiens,
en prime, une chanson de Jean-Roger Caussimont à qui, ne l'oublions
jamais, l'on doit les meilleures de Ferré. Je n'ai su trouver de
version par l'auteur mais il n'en demeure pas moins que le texte
reflète bien la légèreté venant de l'âge même si la mienne
prend d'autres aspects.