Hier, tandis que nous effectuions une revue de détails du
potager, Nicole attira mon attention sur le comportement curieux d’une des brebis
que Raymond met à paître dans le terrain des Anglais de l’autre côté de la
route. Il est à noter que si, dans le cadre du Plan de Réorganisation du Potager
(PRP), je n’avais pas rabattu la haie de 1 m 60 à 1 m 20 nous n’aurions rien vu
de la scène. La bête était affalée sur le flanc tandis que ses pattes battaient
l’air sans grande conviction. A ses côtés, ses deux agneaux s’étaient couchés
normalement et rien dans leur comportement ne révélait la moindre inquiétude.
Ce qui en dit long sur la sécheresse de cœur de ces animaux. Ma compagne insista
pour que j’aille prévenir Raymond du drame en cours. Personnellement je n’y
tenais pas plus que ça, persuadé que j’étais que la bête vivait ses derniers
instants et que son propriétaire n’y pourrait pas grand-chose. Je me remémorais
le Livre de l’Ecclésiaste qui dit si justement qu’« Il y a un temps pour tout, un moment pour chaque chose sous le soleil :
Un temps pour naître et un temps pour mourir, etc. », ce qui en dit en
dit long sur ma sècheresse de cœur. Toutefois je me laissai influencer et me
dirigeai vers sa maison. Ne voyant pas sa voiture, j’en déduisis qu’il n’était
pas là. Mais Nicole insista pour que je vérifie s’il ne se serait pas garé à un
endroit où on ne la verrait pas. Je fis
le tour de la propriété mais pas plus de Raymond que d’intérêt dans un discours
du président Hollande.
Je pensai arrêter là ma mission mais il me fut conseillé d’appeler
l’éleveur. Je m’y résignai et le fis. Ce fut sa moitié qui me répondit. Je lui
communiquai la triste nouvelle qu’elle me promit de transmettre à son mari. Quelques
minutes plus tard je le vis arriver. Sa promptitude me laissa pantois : était-il
doté de super-pouvoirs pour parvenir en si peu de temps à être prévenu et
à parcourir les quelques kilomètres séparant sa maison du lieu de son élevage ? Curieusement, plutôt que de se diriger vers
le lieu du drame par moi précisé à sa fidèle (du moins je l’espère) épouse, je
le vis prendre le chemin d’un autre pré. Je le hélai et lui demandai si on lui
avait communiqué mon message. A son air
étonné, je compris que non. Tout s’éclaira : en fait, lors de mon appel,
il était déjà en route… Je l’informai donc de l’infortune de sa brebis ce qui le
fit prendre au quasi-pas de course la direction du la pâture concernée. Je
retournai au potager voir comment les choses se passaient et fus étonné de voir
la brebis moribonde de nouveau sur pieds et, suivie de ses jumeaux, en train de
paître à belles dents. Celui que j’avais cru, l’espace d’un instant devoir
nommer Super Raymond m’expliqua que, s’étant gavée plus que de raison d’herbe
verte des collines, la brebis avait dû se coucher et que sa panse trop pleine
lui avait interdit de se relever. Sans une prompte intervention, la bête eût
normalement crevé. Je fus donc remercié. Un café nous fut proposé que nous
refusâmes et Raymond m’indiqua, qu’au cas où je verrais le cas se reproduire,
il me suffirait d’attraper la bête par la toison, de la faire rouler un peu de
manière à ce que ses pattes touchent le sol et qu’elle puisse se relever et
courir vers d’autres ripailles. L’idée de tripoter la laine répugnante de cette
gloutonne ne me disant rien, j’espère ne plus jamais être témoin d’un drame
similaire.